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sans contradiction le lait que ces derniers ne pouvaient tirer parti de cette main-d’œuvre forcée qu’à l’aide d’un système de contrainte répugnant aux mœurs actuelles. Ce système était d’une sévérité, pour ne pas dire d’une férocité, que l’on ne peut excuser sans prendre en considération les mœurs beaucoup plus rudes de l’époque et sans se rendre compte de la nature du contrat qui plaçait les convicts entre les mains de maîtres pour lesquels ils étaient loin d’avoir autant de valeur que des esclaves. Ces derniers, en effet, dans les pays où l’esclavage florissait alors légalement, représentaient une valeur monétaire considérable constituant par elle-même un frein puissant contre la cruauté du maître, tandis que, le convict assigné pouvant d’un instant à l’autre être remplacé sans Irais matériels pour son employeur, celui-ci n’avait aucun intérêt en dehors des droits que réclamait la plus simple humanité, à se préoccuper de son bien-être ou de sa santé. Tout au plus avait-il à se conformer aux règlemens pour la protection des convicts, règlemens que son isolement, en général, lui permettait facilement d’enfreindre. Considéré au point de vue des sentimens ultra-humanitaires et philanthropiques qui caractérisent la civilisation française actuelle, si l’on en juge par ce qu’elle produit de nos jours à la Nouvelle-Calédonie et à la Guyane, le traitement appliqué aux convicts australiens d’il y a trois quarts de siècle paraît sans doute bien inexorable et bien barbare. Il est néanmoins certain que sans ces lois draconiennes l’emploi de la main-d’œuvre pénitentiaire eût été absolument impossible dans un pays où les colons se trouvaient forcément isolés dans des propriétés d’une grande étendue, dispersées çà et là sur un immense territoire. La faible population du pays et la distance immense qui le séparait du reste du monde obligeaient le colon à se lancer dans de grandes entreprises pastorales exigeant des espaces considérables de terrain pour leur exploitation économique, car une poignée d’agriculteurs suffisait à fournir toutes les denrées nécessaires à l’alimentation de la colonie. Il fallait donc au colon de sérieuses garanties de sécurité contre les mécréans de toute sorte qu’il était forcé d’employer, et avec une telle classe, se ressentant largement de l’influence des mœurs de son époque et de sa race, il n’y avait d’autres moyens effectifs à employer que ceux auxquels les autorités durent avoir recours. Ces moyens consistaient à octroyer des pouvoirs judiciaires spéciaux très étendus aux magistrats stipendiaires représentans de la loi, dans les différens districts, en cas de délits commis par les convicts assignés, et à donner également des pouvoirs semblables à un certain nombre de magistrats honoraires ou justices of the peace (juges de paix) choisis