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de réduire à néant les efforts des hommes vaillans auxquels étaient confiés la sécurité et l’avenir de l’établissement.

Avec leur caractère éminemment pratique, les Anglais comprirent bien vite que la colonisation par l’élément criminel seul était une méprise. Dès l’année 1795, le gouverneur Paterson fit venir d’Angleterre un certain nombre d’émigrans libres auxquels des concessions de terrain furent assignées sur les bords du fleuve Haukesbury. Ces derniers, presque tous agriculteurs et choisis avec un certain soin parmi la jeunesse des campagnes, eurent bien vite arraché à la nature 2,500 hectares de terres excellentes et mis l’établissement à l’abri des famines qui avaient à plusieurs reprises failli le ruiner. Ainsi furent fondés les centres agricoles de Windsor, de Wilberforce et de Richmond, et les traces laissées par les vaillans yeomen qui répondirent à l’appel du gouverneur Paterson se retrouvent aujourd’hui dans la race vigoureuse qui habite la riche vallée du fleuve Haukesbury ; les natifs de ce district sont en effet renommés dans toute la Nouvelle-Galles du Sud pour leur grande taille, leur vigueur et l’énergie de leur nature, aussi bien que pour la simplicité de leurs mœurs. Plus tard, les gouverneurs adoptèrent un système de concessions territoriales aux officiers des régimens qui gardaient les transportés et aux émigrans libres disposant d’un certain capital. Ces concessions étaient souvent d’une étendue considérable comprenant 1,000, 2,000,5,000 et jusqu’à 10,000 arpens[1] de terrains choisis dans les endroits les mieux situés et les mieux arrosés. Le gouvernement local favorisa dès le principe le système de la colonisation par l’élément militaire, et parmi les familles qui occupent aujourd’hui les plus hautes positions dans la Nouvelle-Galles du Sud, on retrouve les noms de beaucoup de ces officiers et de militaires d’un rang inférieur, lesquels, avec les émigrans libres, furent en réalité les pionniers de la colonisation en Australie. Il est tout à fait erroné de prétendre que le succès de l’occupation économique de cette belle province est dû à l’élément criminel. Cette théorie, qui trouve encore en France malheureusement beaucoup de partisans, s’écroule devant l’examen des faits. L’élément criminel ne fut qu’un auxiliaire entre les mains d’une classe de colons qui, quand ils n’étaient pas agriculteurs eux-mêmes, possédaient d’amples capitaux et faisaient diriger leurs exploitations par des hommes du métier. Les convicts étaient assignés à ces colons en nombre suffisant pour les besoins de leurs établissemens agricoles ou de leurs entreprises pastorales, et les relations de l’époque prouvent

  1. L’hectare vaut deux arpens et demi.