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Aucune autre nation, pas même l’Amérique du Nord, n’a atteint le même niveau de liberté dont jouissent les colonies parlementaires de l’Australasie britannique. En Allemagne, où l’empereur s’amuse à faire du socialisme d’État, l’émancipation des masses laborieuses est encore à l’état de rêve ; en Angleterre la liberté n’existe qu’en apparence, le peuple est toujours l’esclave des vieilles coutumes et courbe toujours facilement l’échine devant une aristocratie qui n’abandonne aucun de ses privilèges. En France la classe des agriculteurs qui doit son émancipation à la révolution de 1789, satisfaite de sa condition présente et se renfermant dans son égoïsme, oppose une résistance passive à l’émancipation des classes ouvrières ; ces deux grandes sections du peuple manquent de sympathies l’une pour l’autre. En Amérique même, malgré toute la liberté dont il jouit, l’ouvrier est à la merci du monopole qui, à chaque tentative de révolte, puise à pleines mains dans la fourmilière où grouille la misère de la vieille Europe, et jette sur le pavé des grandes cités industrielles de l’Union cette main-d’œuvre hétérogène composée de juifs polonais, de mendians italiens et hongrois et de paysans russes, à l’aide de laquelle il maîtrise toute résistance locale. En Australie, rien de tout cela ; point de question agraire, point de traditions de servilité, point de compétition étrangère ; le champ est libre, le capitaliste et l’ouvrier sont seuls en présence. Or un tel état de choses n’est possible que par suite de l’existence de conditions politiques uniques, et si l’on songe qu’il y a cent ans à peine l’Australie fut occupée pour servir de déversoir aux prisons de la Grande-Bretagne, et qu’elle fut gouvernée pendant près d’un demi-siècle sous un régime plus autocratique que la plus arbitraire des monarchies, il est vraiment intéressant de rechercher les causes de cette transformation magique et d’en connaître les auteurs. L’isolement dans lequel l’Australie se trouve placée à cause de sa position géographique si loin du centre autour duquel bat le cœur de l’humanité, et le caractère essentiellement britannique de sa colonisation tendent à diminuer à l’étranger l’intérêt qui s’attache à son développement. Depuis quelques années cependant, on remarque un accroissement considérable dans le chiffre des émigrans de nationalités diverses qui débarquent dans les ports australiens ; le commerce commence à se diriger vers d’autres centres, et sans abandonner Londres, Liverpool, Glascow et Aberdeen, avec lesquels les échanges augmentent en quantité et en valeur d’année en année, il prend néanmoins le chemin d’Anvers, de Brème et de Marseille. Il s’ensuit tout naturellement que les événemens australiens ont cessé de n’intéresser que les seuls Anglais et attirent peu à peu l’attention des autres nations. Jusqu’en 1883, l’Australie n’avait d’autre voisine dans le