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à l’autorité du gouvernement a lieu, l’obéissance doit toujours être provisoire. » — Mais, sur ce personnel incurablement réfractaire, la compression ne suffira pas ; il est vieilli, endurci ; partant, le vrai remède consiste à le remplacer par un autre plus jeune et plus maniable, plié et façonné exprès dans une école spéciale, qui sera pour l’Université ce que Fontainebleau est pour l’armée, ce que les grands séminaires sont pour le clergé, une pépinière de sujets soigneusement choisis et formés d’avance.

Tel est l’objet de l’École normale[1] ; les jeunes gens y entrent dès dix-sept ans et s’obligent à rester dans l’Université au moins pendant dix ans. C’est un internat ; ils sont assujettis à la vie commune : « les sorties particulières leur sont interdites, » et « les sorties communes,.. en uniforme,.. ne se font que sous la direction et la conduite des maîtres surveillans… Ces surveillans inspectent les élèves pendant les études et les récréations, aux heures du lever, du coucher et pendant la nuit… Aucun élève ne peut passer le temps de la récréation dans sa chambre sans l’agrément du maître surveillant. Aucun élève ne peut entrer dans la salle d’une autre division sans la permission de deux maîtres surveillans… Le directeur des études fait la visite des livres des élèves aussi souvent qu’il le juge à propos, et au moins une fois par mois. » Toutes les heures de la journée ont leur emploi prescrit ; tous les exercices, y compris les pratiques religieuses, y sont imposés, chacun à sa place et à son moment, avec détail et minutie, comme de parti-pris, pour fermer à l’initiative personnelle toutes les issues possibles et pour substituer partout aux diversités individuelles l’uniformité mécanique. « Les principaux devoirs des élèves sont le respect pour la religion, l’attachement au souverain et au gouvernement, une application soutenue, une régularité constante, la docilité et la soumission envers leurs supérieurs : quiconque manque à ces devoirs est puni suivant la gravité de la faute. » — En 1812[2], l’École est encore petite, à peine installée, logée dans les combles du lycée Louis-le-Grand, composée de quarante élèves et de quatre maîtres. Mais Napoléon a les yeux sur elle, et

  1. Statut sur l’administration, l’enseignement et la police de l’École normale, 30 mars 1810, titre II, articles 20 à 93.
  2. Villemain, Souvenirs contemporains, t. Ier, 137 à 156. (Une visite à l’École normale en 1812, paroles de Napoléon à M. de Narbonne.) — « Tacite est un sénateur mécontent, un boudeur d’Auteuil, qui se venge, la plume à la main, dans son cabinet : il a des rancunes d’aristocrate et de philosophe tout à la fois… Marc-Aurèle, c’est une sorte de Joseph II, et, dans de plus grandes proportions, philanthrope et sectaire, en commerce avec les sophistes, les idéologues du temps, les flattant, les imitant… J’aime mieux Dioclétien. » — «… L’éducation publique, c’est l’avenir et la durée de mon œuvre après moi. »