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savamment groupées, sont les fabriques nationales, fondées par le gouvernement ou, sur son ordre, par les communes, facultés, lycées, collèges, petites écoles communales ; les autres, isolées et disséminées, sont des fabriques privées, fondées par des particuliers, pensions et institutions pour l’instruction secondaire, petites écoles libres. Les premières, œuvres de l’État, régies, administrées, défrayées et exploitées par lui sur le plan qu’il a prescrit et pour l’objet qu’il se propose, ne sont que son prolongement ; c’est lui qui opère en elles et qui, directement, pleinement, agit par elles : elles ont donc toute sa bienveillance et les autres toute sa défaveur. Celles-ci, pendant le Consulat, se sont relevées ou élevées par centaines, de toutes parts, spontanément, sous la pression du besoin et parce que la jeunesse a besoin d’instruction autant que d’habits, mais au hasard, par la rencontre de l’offre et de la demande, sans règle supérieure et commune : rien de plus antipathique au génie gouvernemental de Napoléon : — « Il est impossible, dit-il[1], de rester plus longtemps comme on est, puisque chacun peut lever une boutique d’instruction comme on lève une boutique de drap, » fournir, à son gré et au gré des chalands, tel habit ou telle étoffe, même mauvaise, de telle coupe, même extravagante ou surannée : de là tant de costumes divers, une bigarrure choquante. Un bon habit obligatoire, d’étoffe solide et de coupe raisonnable, un uniforme dont l’autorité publique fournira le modèle, voilà ce qu’il faut mettre sur le dos de tout enfant, adolescent ou jeune homme ; et les particuliers qui se chargent de cette besogne sont suspects d’avance. Même obéissans, ils ne sont dociles qu’à demi, ils ont leur initiative et leurs préférences, ils suivent leur goût propre ou celui des parens. Toute entreprise privée, par cela seul qu’elle existe et florit, est un groupe plus ou moins indépendant et dissident. Napoléon, apprenant qu’à Sainte-Barbe, restaurée et dirigée par M. de Lanneau, il y a 500 élèves, s’écrie[2] : « Comment se fait-il qu’un simple particulier ait tant de monde dans sa maison ? » L’empereur semble presque jaloux ; on dirait que, dans un coin de son domaine universitaire, il vient de se découvrir un rival ; cet homme usurpe sur lui, sur le domaine du souverain ; il s’est fait centre, il rassemble autour de lui une clientèle et un peloton ; or, comme l’a dit Louis XIV, il ne faut pas qu’il y ait dans l’État « des pelotons à part. » Puisque M. de Lanneau a du talent et du succès, qu’il entre dans les cadres officiels et qu’il devienne fonctionnaire. Tout de suite Napoléon songe à l’acquérir,

  1. Pelet de la Lozère, p. 170. (Séance du Conseil d’État, 20 mars 1806.)
  2. Quicherat, Histoire de Sainte-Barbe, III, 125.