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à la conséquence, le matériel au spirituel, la créature au créateur, la conscience à la loi et à la morale, le fait au dogme. » Par cette marche régulière, mais « lente, prudente, patiente, l’esprit du sourd devenu parlant arrive à la connaissance du mot et de la phrase abstraite, à la perception et à l’idée du fait immatériel. »

Bien plus simple que la nôtre, la grammaire du sourd-muet se subdivisera conformément aux élémens constitutifs de la pensée : 1° le nom, avec ce qui le complète (articles, adjectifs, genres, nombres, etc.), et avec ce qui le représente (pronoms) ; 2° le verbe avec ses modifications (temps, personnes, modes, adverbes), et avec ses rapports (prépositions) ; 3° les particules conjonctives, qui expriment les rapports rationnels entre les idées et les faits ; 4° les constructions synthétiques qui correspondent au mode de concevoir les idées complexes, et qui forment la phrase et la période.

De la pratique de ces différentes parties de langage on déduira plus tard ce qu’on appelle les règles de la grammaire. Ce sera le couronnement de cette partie des études des sourds-muets.

Il faut étudier dans les ouvrages de l’abbé Tarra et de Valade-Gabel, ou suivre dans les classes progressives de l’institution de Paris la marche qui conduit à ce résultat final. Nous ne saunons prétendre à reproduire ici ces leçons. L’abbé Tarra les divise ainsi : 1° enseignement de la nomenclature ; premiers exercices pratiques sur les choses. « La signification de chaque mot est enseignée en présence de l’objet même, et expliquée par lui ; mais l’objet ne doit être présenté qu’après que le mot, dit naturellement, a été lu sur les lèvres d’une manière sûre, après qu’il a été prononcé avec la juste position et avec le mouvement voulu des organes, avec le ton de voix et l’accent requis pour en faire une véritable parole distincte, intelligible, humaine. » Lorsqu’un nom a été bien prononcé, il est bon de le faire répéter deux, trois fois et plus pour que la prononciation devienne, dès le début, facile et sûre. Il faut que cette première nomenclature comprenne les mots les plus usités, les locutions les plus courtes, les plus simples, qui correspondent le mieux aux besoins de l’élève. Quand le nom est connu, on le fait répéter accompagné de son article (la balle, une balle, deux balles), des adjectifs qui en expriment les qualités les plus sensibles (la balle ronde, une pierre blanche). Puis, on y joint des verbes qui indiquent l’action, le mouvement (je roule la balle, je lance la pierre, je mange le fruit) ; mais de cette première notion du verbe, l’abbé Tarra exclut les deux verbes être et avoir, qui expriment des abstractions.

Le second chapitre : De l’étude du verbe dans l’expression des