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gagner au simple ajournement d’une loi. Le corps électoral serait alors consulté sur un seul point ; y a-t-il lieu de passer à une nouvelle délibération ? En résolvant affirmativement la question, il permettrait à la couronne d’exercer une sorte de veto suspensif. Les chambres ne seraient pas dessaisies définitivement, même en la forme, et le roi serait seulement investi d’un pouvoir analogue à celui qu’exerce le président de la république aux États-Unis ; toutefois, en fait, il n’userait de ce droit qu’avec l’assentiment du peuple.

Ces sages tempéramens, ces mesures propres à modérer, dans un cas extrême, la puissance des chambres par l’action du pouvoir royal, sont repoussés par un assez grand nombre d’hommes politiques comme attentatoires soit à la dignité, soit à l’autorité du parlement. Quelques partisans trop zélés du referendum sont, il faut l’avouer, venus à leur aide, en déclarant à la chambre des représentans elle-même qu’il s’agissait d’inaugurer « le gouvernement du peuple par le peuple. » On a protesté sur la plupart des bancs, et nous le comprenons. Le meilleur moyen de discréditer une réforme est de la dénaturer ; telle n’est pas la portée du projet actuel, le lecteur a pu s’en convaincre. En quoi la dignité du parlement sera-t-elle atteinte ? Si la couronne appelle, dans des conjonctures difficiles, le corps électoral au secours de la majorité parlementaire, celle-ci ne pourra pas se plaindre, ce nous semble, d’être soutenue, encouragée, défendue par ses commettans. Quand ceux-ci lui conseilleraient de réfléchir et de remettre sur le métier son ouvrage, il faudrait une fierté bien déplacée pour se fâcher ou s’indigner d’un tel conseil. Les mandataires sont dignes de tous les respects ; mais les mandans ont bien droit à quelques égards et c’est pourquoi, bien que la république des États-Unis soit représentative, les parlemens de plusieurs États particuliers ne se sentent pas humiliés de voir, dans quelques cas, leurs votes soumis à la sanction du peuple. Il est vrai que la consultation populaire, même employée dans des cas très rares et dans des circonstances tout à fait extraordinaires, peut servir de frein à la puissance du parlement. Mais convient-il que celle-ci soit sans bornes ? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que les assemblées fussent infaillibles. Est-ce que la Constituante de 1789, malgré ses grandes lumières, n’a pas commis de grandes fautes ? Est-ce que la Convention n’a pas commis des crimes ? Est-ce qu’il n’a pas existé, dans tous les pays, à toutes les époques, des chambres « introuvables ? » La règle de la véritable monarchie représentative, c’est que personne n’est assez sage pour être tout-puissant ; personne, y compris le peuple ; personne, y compris le roi ; personne, y compris le parlement lui-même.