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complications qu’elles accumulent et de n’être pas plus heureuses dans leurs entreprises lointaines que dans les affaires intérieures. Il y a longtemps déjà, il y a plus de dix ans qu’on s’est jeté à corps perdu dans ces campagnes d’extension coloniale, s’engageant partout à la fois, au Tonkin, à Madagascar, au Soudan, sur le Niger, au Dahomey, sans savoir toujours où l’on va, jusqu’où l’on veut aller. Il y a longtemps aussi que les surprises et les mécomptes se succèdent, que les ministères sont périodiquement réduits à demander avec un embarras mal déguisé des crédits dont on n’avait pas prévu la nécessité, qui ne suffisent jamais.

On croit toujours en avoir fini, et rien n’est fini ! On prononce des discours fort éloquens, le gouvernement renouvelle les déclarations invariablement rassurantes, et on n’est pas plus avancé. L’éternel débat sur la politique coloniale recommence sans cesse ; il vient de se rouvrir ces jours passés encore à la chambre, ravivé par des difficultés nouvelles, par une nouvelle demande de crédits. Le fait est que la politique coloniale n’est pas pour le moment heureuse, et que, depuis quelques jours, de tous les points de l’horizon, sont arrivées des nouvelles faites pour émouvoir l’opinion. Au Tonkin, bien qu’on ne cesse de parler de la pacification, de la fin des troubles et des désordres, il a fallu récemment mettre en mouvement une colonne de 3,000 hommes pour reprendre des positions où on aurait peut-être pu éviter de laisser l’ennemi se fortifier. Il a fallu livrer bataille, donner un véritable assaut. À Madagascar, malgré un traité en bonne forme, en dépit des arrangemens négociés avec l’Angleterre, notre protectorat n’est rien moins que respecté et la sécurité même des Français est loin d’être garantie ; mais c’est dans l’Afrique occidentale que se passent peut-être les faits les plus graves. Dans ces vastes espaces du Soudan occidental, des rives du Niger ou dans le golfe de Bénin, les incidens pénibles se pressent. Hier encore, un de nos officiers, le capitaine Ménard, qui s’était courageusement aventuré dans des régions inexplorées jusqu’ici, a péri en faisant tête aux sauvages. Un autre de nos officiers, le lieutenant-colonel Humbert, occupé à guerroyer avec un de ces rois nègres de l’intérieur, est peut-être en ce moment encore obligé de se replier en se défendant avec une poignée d’hommes contre des masses armées sur le Niger. D’un autre côté, dans le golfe de Bénin, nos petits postes de Kotonou, de Porto-Novo, sont serrés de près et menacés par les bandes du roi de Dahomey, Behanzin, cet étrange pensionnaire de la France, qui, en recevant notre argent, ne cache pas sa prétention de nous jeter à la mer. Et partout c’est la même chose ; ce sont des hommes périssant par le feu de l’ennemi ou par les maladies, des dépenses nouvelles pour faire face à de nouveaux dangers. Quand et comment cela peut-il finir ? où s’arrêtera-t-on ? Là est toujours le problème, le dernier mot de toutes