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métropole. On s’adresse donc au parlement qui étudie à son tour tout ce qu’avait, par deux fois déjà, étudié l’administration, et voici que vont recommencer les odyssées de l’infortuné, projet. Trop heureux, si ce n’est pas seulement le tracé, mais le principe même du chemin de fer qu’on remet en discussion. Si bien qu’à moins que le gouverneur ne soit très écouté, le ministre des colonies très ferme, la commission du parlement très bien disposée, la législature se passera en atermoiemens, et le Tonkin n’aura toujours pas sa voie ferrée.

L’Inde, au contraire, avec son administration presque autonome, ses finances indépendantes, son gouvernement à peu près tout-puissant, ne rencontre guère d’obstacles que dans sa prudence même, et il n’est peut-être pas excessif de dire que parfois cette prudence l’a retenue davantage que ne l’aurait souhaité le gouvernement de la métropole. S’agit-il de creuser un canal, de construire un chemin de fer, elle peut les mettre à l’étude et même commencer les travaux préliminaires, sûre qu’on ne lui marchandera pas l’autorisation d’exécuter un plan bien conçu. Nous l’avons pu constater au cours même de cette étude pour le chemin de fer de Toungoo à Mandalay.

Or, pour montrer tant de facilité, la métropole a ses raisons. Elles ne sont pas difficiles à deviner. La première est que le gouvernement de l’Inde, étudiant les problèmes sur place, disposant de conseillers politiques et de techniciens de premier ordre, lui inspire sinon une confiance absolue, en tout cas autant et même plus de confiance que tout autre corps consultatif qu’elle pourrait réunir en Angleterre. La seconde raison, moins solide peut-être, mais, il faut l’avouer, plus déterminante, est qu’en lui demandant son autorisation, le gouvernement de l’Inde ne lui demande ordinairement pas d’argent et ne la met pas dans l’obligation de consulter le parlement. Le cabinet se décide donc, en pleine liberté, d’après la valeur intrinsèque de l’entreprise et non pas d’après les difficultés qu’elle peut lui créer pour sa politique intérieure. Cette entente des deux gouvernemens, qui ne se manifeste pas seulement en matière de travaux publics, donne à la politique de l’Inde une sûreté et une souplesse merveilleuses. L’Inde, devenue ainsi, de par son autonomie financière, maîtresse de ses mouvemens, excelle et doit une partie de sa grandeur à son habileté à saisir les occasions que d’autres ont laissé échapper, et à faire ce qu’il y avait à faire au moment où il convenait de le faire. Aussi, parmi les Français qui ont étudié son histoire, ne doit-il pas en être un seul qui ne lui envie cette position si propice et ne souhaite par-dessus tout à notre Indo-Chine cette semi-indépendance vis-à-vis de la métropole, condition nécessaire de sa future grandeur. Mais une