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supposition gratuite et peu raisonnable. Un pays aussi vaste comporte plusieurs systèmes de voies ferrées : on ne saurait prétendre le drainer d’un seul côté. En se plaçant dans les hypothèses les plus favorables aux promoteurs de la ligne birmano-chinoise, il faut prévoir que le massif de la Chine centrale serait attaqué encore de deux ou trois autres côtés : du côté de l’est, du côté du sud-est et enfin du côté du sud. La Chine, le premier pas fait, ne refuserait pas d’en faire un second. Quand elle aurait autorisé un chemin de fer en quelque sorte international, elle ne repousserait pas, elle encouragerait plutôt des lignes absolument nationales[1]. Et les capitaux ne feraient pas défaut : les Chinois, ces puissans et habiles négocians, souscriraient tout ce qu’on voudrait. Quant aux colonies européennes et anglaises de Shanghaï et de Hong-Kong et des ports ouverts, elles en offriraient spontanément, et la crainte de faire concurrence à leurs compatriotes de Birmanie ne les retiendrait guère.

Il ne faut donc, au moins pour le présent, attacher qu’une médiocre importance à ces projets de gigantesques lignes birmano-chinoises, allant de Rangoon ou de Maulmein à Canton ou à Chun-king. Il en est tout autrement des chemins de fer qui sont destinés non pas à franchir, mais à atteindre seulement la frontière chinoise. Nous savons combien rapidement les Anglais, quand ils sont sûrs de leur terrain, passent de la conception à l’exécution ; or, depuis le jour où ils sont entrés en Haute-Birmanie, ils ont mis à l’étude un certain nombre de projets que nous devons examiner avec toute l’attention qu’ils méritent.

Le premier projet d’un chemin de fer allant à la frontière de Chine date de trente ans. En 1861, sir Arthur Phayre, le premier commissaire en chef de Birmanie, avait recommandé l’étude d’un tracé se dirigeant sur Kiang-Hung. En 1866, lord Salisbury, alors vicomte Cranborne, avait demandé au gouvernement de l’Inde, qui ne s’en souciait pas, de lever le plan d’une voie ferrée jusqu’à la frontière de Chine. En 1869, le duc d’Argyle, et, en 1874, lord Salisbury de nouveau avaient insisté sur ce projet. Enfin bien d’autres, voyageurs ou fonctionnaires, avaient lancé des plans plus ou moins étudiés et pratiques. Mais ce n’est pas avant 1882 que, sur l’initiative de l’explorateur Colquhoun, on procéda sur le terrain à l’examen sommaire de la possibilité qu’il y avait d’établir une voie ferrée reliant la Birmanie à la Chine. Depuis 1882, cette idée n’a jamais été abandonnée : les tracés seuls ont varié.

Sans m’occuper de l’ordre chronologique, j’indiquerai les tracés

  1. Le premier chemin de fer auquel aient songé les Chinois va de Hankow à la mer à travers les plaines.