Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par cinq mille jeunes gens qui portaient des torches. Néron qui, en sa qualité d’artiste, était épris de nouveautés, imagina un jour, pour ses fêtes, un éclairage extraordinaire : il fit enduire des chrétiens de bitume, et y mit le feu.

Les sacrifices terminés, probablement vers le milieu de la nuit, d’autres genres de plaisirs, et encore plus appréciés du peuple, commençaient. Sur le Champ de Mars, le long du Tibre, s’élevait une scène en bois. Elle avait ceci de particulier, qu’en face d’elle s’étendait un grand espace vide ; point d’orchestre, point de gradins superposés, comme dans les théâtres ordinaires ; la foule regarde debout. C’est un vieil usage qu’on renouvelle : dans les premiers temps de la république, et jusqu’après les guerres d’Hannibal, le sénat ne voulait pas que le peuple s’assît aux jeux publics, de peur qu’il n’y trouvât trop d’agrément et ne négligeât tout le reste. Voilà un bien étrange souvenir du passé. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que les jeux, une fois commencés, ne doivent pas être interrompus au moins pendant deux nuits et deux jours de suite. Il faut se figurer que sur cette scène, où la toile ne se lève que pour se baisser presque aussitôt[1], les tragédies, les comédies, les mimes se succèdent sans relâche. Il est vraisemblable qu’on a eu soin d’engager toutes les troupes de comédiens qui couraient Rome et l’Italie, et faisaient de si beaux bénéfices qu’elles pouvaient donner à un acteur en renom 300,000 sesterces (60,000 francs) pour quelques représentations. Devant cette scène toujours occupée, le flot des curieux se renouvelait sans cesse. Ce devait être, avec plus d’art et de magnificence, quelque chose de semblable aux spectacles qu’un offrait, dans ma jeunesse, au peuple de Paris, pendant les fêtes publiques. Dans les ronds-points des Champs-Elysées, en plein air, des tréteaux étaient dressés, sur lesquels on représentait des scènes militaires. Les pantomimes se succédaient sans interruption les unes aux autres, et la foule ne se lassait pas d’applaudir les soldats de la république aux prises avec les kaiserlichs, ou les zouaves qui mettaient en fuite des Arabes.

Dans les fêtes de la nuit, Auguste avait assez conservé les anciens usages pour qu’il eût le droit de se vanter que ses jeux séculaires étaient célébrés à l’exemple des aïeux (more exemploque majorum). Il pouvait donc se permettre de donner aux fêtes du jour un autre caractère. Aussi n’ont-elles plus rien de lugubre, mais au contraire un air de triomphe et de joie. Il faut qu’elles

  1. On sait que, sur les théâtres romains, la toile, au lieu de monter dans les frises, descendait dans le sous-sol, en sorte qu’elle s’abaissait au commencement des pièces et se relevait à la fin.