Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Inde à Londres ; le 20 septembre, il insistait, dans une dépêche explicative ; le 27 octobre suivant, il recevait un télégramme ainsi conçu : « Reçu votre dépêche du 20 septembre dernier, touchant le chemin de fer. La construction du chemin de fer de Mandalay est sanctionnée. » Il n’y avait pas un an que les Anglais étaient entrés en Haute-Birmanie. Qui pourrait ne pas admirer et envier cette rapidité dans les décisions !

On n’avait pas attendu cette dépêche pour commencer les études préliminaires de levers et de tracés. Dès qu’on l’eut reçue, on n’eut plus qu’à ouvrir les chantiers. Les travaux marchèrent rapidement. Une première section, de Toungoo à Pyinmina, était ouverte dès le mois de juillet 1888 ; la ligne entière le fut le 1er mars 1889. L’inauguration s’en fit solennellement, en présence de sir Charles Elliott, ministre des travaux publics. La construction d’une ligne de 220 milles, au milieu d’une contrée dépeuplée où la main-d’œuvre était rare[1], à travers des montagnes hautes de 400 à 500 pieds, et par-dessus des rivières larges de 300 à 500, n’avait duré que deux années et demie et coûté que 92,000 roupies (environ 160,000 francs) par mille (de 1,609 mètres).

La ligne avait d’ailleurs presque tout de suite donné ce qu’on en attendait. Elle avait assagi les populations, rendu plus rares les actes de piraterie et les crimes de toutes sortes. On en a attaqué le mode d’exploitation[2] ; on a prétendu que l’administration faisait une concurrence inintelligente aux transports par rivière en réduisant ses tarifs partout où le commerce pouvait choisir entre la voie de fer et la voie d’eau. Et personne ne peut approuver cette tactique, quoique l’administration de l’État puisse se retrancher derrière la nécessité de faire ses frais et même de réaliser des excédens. On en a aussi critiqué le tracé. On a dit que c’était folie de construire le premier chemin de fer presque parallèlement au plus beau fleuve de la Birmanie, à travers la région la mieux desservie par la navigation. Cette dernière critique n’est pas fondée. La ligne de Toungoo à Mandalay était le complément naturel de celle de Rangoon à Toungoo ; de plus, elle devait, — on le croyait alors, — être bientôt prolongée jusqu’à Bhamo, et, d’autre part, servir de « base aux futurs chemins de fer entre les États shans. » D’autres vallées, celles des rivières Mu et Chindwin, importans affluens de l’Iraouaddy, et, comme lui, d’une navigation très irrégulière pendant la saison sèche, celles encore de Hokum et de Mogung, au-delà de Bhamo, attendaient impatiemment leurs voies

  1. Dans le tronçon oriental de la ligne, la rareté des travailleurs se compliquait d’une véritable répugnance au travail et d’une hostilité contre ceux qui l’ordonnaient. Même les mendians refusaient de se laisser enrôler.
  2. Voyez lettre au Times, du 28 octobre 1889.