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de distribution, ni efficace comme moyen d’enrichissement. Mais on peut convenir que, parmi les millions de métropolitains, quelques-uns seront désignés pour recueillir directement les bénéfices de la colonisation, saut à en faire, par la libre circulation des biens et le mécanisme perfectionné de l’échange, participer plus tard indirectement tous leurs concitoyens. Et ceux qui semblent tout indiqués pour remplir cet office d’intermédiaires, ce sont les industriels de la métropole. Ils figurent le plus souvent parmi ceux qui ont réclamé et même encouragé la fondation des colonies ; ils ont, ordinairement plus que les autres contribuables, pris leur part des dépenses qu’elle a occasionnées : à ces titres, ils sont, entre tous, qualifiés pour être des premiers à qui l’entreprise coloniale profite. Et, pour qu’ils en profitent, rien n’est plus aisé : il n’y a qu’à établir, à l’entrée de la colonie, un tarif de douane, non plus fiscal cette fois, mais différentiel et protecteur ; qu’à faire aux marchandises des métropolitains des conditions autres et meilleures qu’à celles des étrangers : le marché de la colonie et les bénéfices qu’il comporte leur seront réservés et, par le canal des industriels, la métropole sera certaine de recueillir les avantages qu’elle a prétendu s’assurer. Cette conception, en apparence si raisonnable, est celle des industriels de presque tous les pays ; c’est celle notamment des industriels français ; c’est à elle que nous devons l’application de notre tarif général des douanes dans nos colonies, même au Tonkin qui, convoité par nos hommes d’État comme offrant au commerce européen la route la plus courte vers la Chine méridionale, a été, dès la première heure, par un vote solennel et retentissant de notre parlement, à peu près fermé aux produits étrangers, quelle qu’en fût la destination, et n’est aujourd’hui encore, après de timides mesures de l’autorité locale que les intéressés ont presque ignorées, qu’entr’ouvert à ceux qui transitent.

À cette conception si favorable aux industriels et, l’expérience le prouve, si préjudiciable à l’ensemble de la nation, — car les industriels de la métropole ne réussissent jamais à alimenter largement le marché dont ils ont écarté leurs concurrens étrangers, tandis qu’à ne plus vendre que des produits nationaux, les marchands de la colonie font moins d’affaires, — à cette conception, on en peut opposer une autre qui, du même point de départ, aboutit à une conclusion toute différente. Comme la première, elle reconnaît que le temps est passé où l’on fondait des colonies pour le plus grand bénéfice de la religion ou de la civilisation ; elle proclame que les colonies ont été fondées pour le profit des métropolitains, et que, ces métropolitains ne pouvant recevoir individuellement leur quote-part de bénéfices, il faut, de toute nécessité, trouver une fraction