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tous les peuples y ont recouru. Aujourd’hui encore les nations les moins avancées, les derniers roitelets de la côte d’Afrique, quand ils veulent conférer quelque sûreté à leurs créanciers, n’imaginent rien de plus efficace que de remettre entre leurs mains le service de la douane et de lui en abandonner le produit.

Malheureusement, ce procédé si simple est un impôt sur le commerce, et cet impôt, c’est la colonie et ses habitans qui en feront les frais. Le vainqueur était venu aux indigènes, la bouche pleine de promesses alléchantes ; il leur avait vanté les bienfaits de la civilisation et, le premier de tous, l’abondance et le bon marché de toutes choses. Il avait, de même, séduit les colons, en faisant miroiter devant eux la facilité qu’offrait à leurs entreprises un pays neuf, libre de toutes les entraves et de toutes les charges que nécessite l’appareil des vieilles civilisations ; et voici qu’aux indigènes comme aux colons il impose un fardeau qui renchérit la vie du consommateur et restreint les bénéfices du commerçant. Pour apaiser, autant que possible, leur mécontentement, en apparence légitime, — car la métropole peut faire valoir de bons argumens, — du moins faut-il rendre cet impôt léger et peu gênant, lui donner un taux modéré et l’asseoir sur un nombre limité d’articles. C’est ce que les Anglais ont compris : ils n’ont taxé en Birmanie que six articles : à la circulation intérieure, les bois précieux, teck, etc. ; à la sortie, le riz ; à l’entrée, les spiritueux, le sel, les armes et munitions de guerre, et, par une décision récente, le pétrole.

Mais bientôt surgit une autre cause de conflit entre la métropole et la colonie. Les colonies constituent des placemens assurément excellens, mais à longue échéance. La génération qui les a fondées se console difficilement de ce qu’elles lui coûtent par la pensée de ce qu’elles rapporteront aux générations suivantes. Elle veut en jouir elle-même, et prétend retirer, dès le temps présent, au moins quelques avantages des peines qu’elle a prises et des sacrifices qu’elle s’est imposés. Quelles compensations peut-elle espérer ? L’honneur de son drapeau ? Le prestige de son nom ? Oui, sans doute ; mais cela ne suffit pas : elle souhaite quelque chose de plus substantiel, des bénéfices matériels. Et elle dit à son gouvernement : ces bénéfices, comment me les assurerez-vous ?

Or, quand cette question se pose, il y a une classe de citoyens qui, dans tous les temps et dans tous les pays, apparaît immédiatement avec une solution toute prête : c’est la classe des industriels. Voici sa thèse. Les colonies sont fondées pour le plus grand profit de la métropole. Si elles donnent des bénéfices, ces bénéfices doivent être pour les métropolitains. Or, ces métropolitains ne peuvent pas supposer que le gouvernement aille les répartir entre eux par tête d’habitant. Ce ne serait ni aisé comme moyen