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influence décisive, cela ne saurait être mis en doute. Assurément, avec les lois les mieux faites, il ne suppléera pas l’initiative des particuliers : l’État agriculteur, l’État industriel, l’État commerçant ne se conçoit et ne réussit que dans des communautés tout à fait primitives, et même l’exemple des Hollandais à Java, au cours de ce siècle, ne va pas à l’encontre de ce que j’avance. Mais, s’il ne peut suppléer l’initiative des particuliers, le législateur peut certainement agir sur elle et agir de la façon la plus heureuse ou la plus détestable, selon qu’il la paralyse ou la stimule.

Les lois économiques que les Anglais pouvaient donner à la Birmanie étaient peu compliquées et d’ailleurs peu nombreuses. Son industrie est encore dans l’enfance ; les grandes villes, où se sont concentrés, à côté des Européens, tous ceux des habitans qui copient ou tolèrent la civilisation de l’Occident, vivent surtout de commerce ; le reste du pays vit surtout d’agriculture. Le rôle et le devoir des Anglais étaient donc tout tracés : encourager l’agriculture et le commerce, et, pour cela, faciliter au cultivateur l’accès des terres et au commerçant l’échange des marchandises.

Rien peut-être n’est si important, dans un pays neuf, que de bien organiser le régime des terres. La conquête a rendu le conquérant propriétaire au moins de toutes les terres domaniales et de toutes les terres délaissées. Le choix du procédé par lequel ces terres passeront aux mains des colons est chose capitale. Les Anglais ont, à cet égard, formulé et appliqué des règles d’une grande sagesse ; leur législation australienne a procuré les résultats les plus féconds et a été imitée par presque tous les peuples[1]. Au lieu de donner gratuitement la terre ou même de l’offrir à tout venant, ils la vendent au plus offrant. Ce procédé leur fournit de quoi faire face aux dépenses de travaux publics, nécessité première des jeunes colonies, et leur attire des colons qui savent ce que vaut la terre, puisqu’ils l’ont payée, et la cultivent sans retard, puisqu’ils en attendent le remboursement de leurs dépenses. Ce procédé, toutefois, ils ne l’ont pas appliqué en Birmanie. Ils n’ont, à vrai dire, pas paru se soucier de faire, par un procédé quelconque, passer aux particuliers les terres de l’État.

La Haute-Birmanie, peu peuplée, mal cultivée, renferme de très grands espaces incultes et même inappropriés : ils les firent inventorier. Il existe dans l’Inde, et par conséquent en Birmanie, une administration qui s’appelle Survey of India, et qui, entre autres missions, a celle de faire l’inventaire et la description des richesses

  1. Voir sur ce sujet l’important document suivant : Report on the modes in which Land is disposed of in the Australian Colonies… and as to what mode would be most beneficial in future, both to the colonies and the mother country, 1836.