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l’avaient bien entendu ainsi, que les jeux séculaires s’étaient régulièrement succédé à Rome tous les cent dix ans, et que les derniers avaient eu lieu en 628 ; d’où l’on tira cette conclusion que 738 était la date véritable où ils devaient être célébrés. — En réalité, ils le furent en 737 (17 avant Jésus Christ) et, ce qui est fort étrange, personne n’a pris la peine de nous apprendre pourquoi on les a ainsi avancés d’un an. M. Mommsen suppose qu’Auguste avait hâte de partir pour la Gaule, où sa présence lui paraissait nécessaire. Mais cette hypothèse ne me paraît pas très vraisemblable. Auguste n’alla en Gaule que vers le milieu de l’année suivante, quand il eut appris la défaite de Lollius, que rien ne faisait prévoir. Je crois qu’il faut chercher ailleurs la raison qui fit choisir l’année 737, et qu’il est possible de la trouver. Dix ans auparavant, le prince avait déposé solennellement tous les pouvoirs extraordinaires dont on l’avait jusque-là revêtu, et, suivant les expressions dont il se sert lui-même dans l’inscription d’Ancyre, rendu la république au sénat et au peuple, — rempublicam ex mea potestate in senatus populique romani arbitrium transtuli ; — et en récompense on lui avait décerné ce nom d’Auguste que tous les empereurs ont porté après lui. Mais, quoi qu’il dise, il n’avait pas tout rendu. La moitié des provinces, celles qui étaient le plus voisines de la frontière, le plus exposées aux attaques de l’ennemi, étaient restées en son pouvoir, et, avec elles, l’armée tout entière, qui avait la charge de les défendre. — C’était, en somme, le plus beau lot. — On aurait voulu les lui confier pour toujours ; mais, (idole à sa politique de modération et de désintéressement, qui lui avait si bien réussi, il n’avait consenti à les garder que pour dix ans. En 737, le terme qu’il avait lui-même fixé était arrivé, et, après dix ans de paix et de gloire, on s’apprêtait à renouveler ses pouvoirs : c’était une occasion naturelle de réjouissances publiques. : « De là vient, nous dit l’historien Dion Cassius, que les empereurs qui ont succédé à Auguste, quoique nommés pour toute leur vie, ne manquent pas de fêter la dixième année de leur règne, comme si c’était le commencement d’une période nouvelle ; et cette habitude dure encore de nos jours. » Je crois donc qu’on peut considérer les jeux séculaires d’Auguste comme la première de ces fêtes décennales (Decennalia) qui ont été jusqu’à la fin les plus grandes solennités de l’empire.


II

L’inscription qu’on vient de découvrir et que nous allons étudier va nous apprendre de quelle manière ces jeux furent célébrés.