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plus guère que le double du nôtre, de 1651 à 1700. Il s’éleva à près du triple, de 1701 à 1750, et redescendit de 1751 à 1790 au double de ce qu’il est aujourd’hui. Beaucoup de personnes trouveront étrange que la vie n’ait fait que doubler, durant les cent années qui nous séparent de la réunion de l’assemblée constituante. Cependant, cette augmentation de 100 pour 100 n’est elle-même qu’une moyenne : il y a des marchandises qui ont triplé, comme le bois à brûler ; il en est qui ont sextuplé, comme les chaussures. En revanche, le linge et le drap n’ont augmenté que des quatre cinquièmes. L’huile à brûler coûte le même prix, et la chandelle 20 pour 100 de moins qu’autrefois. Le loyer des chaumières de campagnes a augmenté de 120 pour 100 ; mais le blé n’a augmenté que de 30 pour 100, les légumes secs que de 50 pour 100, et l’épicerie, le sel notamment, est trois fois moins chère. Bref, la vie, dans son ensemble, n’est que deux fois plus coûteuse qu’il y a un siècle ; or, tandis que les salaires ont triplé, le revenu de l’hectare de terre n’a fait que doubler et l’intérêt des capitaux a baissé de 20 pour 100.

Pour que la puissance d’achat des métaux précieux se soit en définitive abaissée de moitié depuis un siècle, il a fallu que les quantités extraites des mines aient beaucoup plus que doublé le stock d’or et d’argent, qui existait sur la surface du monde en 1790 ; si l’on songe que les progrès de l’aisance, en notre temps, ont absorbé, pour l’orfèvrerie et les usages domestiques, une somme prodigieuse de ces métaux, et que, d’autre part, des contrées entières ayant été ouvertes à la civilisation ont dû, pour former leur circulation monétaire, attirer une forte proportion de l’argent et de l’or nouvellement produits.

De plus, pendant que la quantité des métaux précieux augmentait, la quantité de marchandises de toute nature augmentait aussi : les matières premières, parce que, grâce au développement de l’agriculture, on en obtenait davantage de la terre ; les objets fabriqués, parce que, grâce aux inventions modernes, on en établissait beaucoup plus et à bien meilleur marché. Très certainement la somme des « marchandises, » de toutes les choses susceptibles d’être échangées, existant en 1892 sur le territoire français, est beaucoup plus que double de celles qui existaient en 1790 sur le même territoire. Il faut donc, pour qu’elles correspondent, prises en masse, à un nombre double de grammes d’argent, que la quantité d’argent, répandue sur notre marché national, soit au moins le quadruple de ce qu’elle était il y a cent ans.


Vte G. D’AVENEL.