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l’accroissement de la population, qui avait peut-être augmenté d’un quart depuis la Fronde.

Tout porte à croire que la monnaie aurait vu son pouvoir croître dans une forte proportion, si la masse métallique était demeurée sans changement ; mais l’offre des métaux précieux, de l’argent surtout, s’était maintenue et avait même excédé jusqu’alors la demande qui en pouvait être faite dans le monde civilisé. Au contraire, à la fin du XVIIe siècle, cette offre diminua. Le Potosi était devenu médiocrement productif. L’exploitation des mines d’Amérique fut moins fructueuse, les Irais plus élevés.

Le pouvoir de l’argent se mit par suite à remonter progressivement dans les premières années du XVIIIe siècle. S’il ne s’éleva pas très vite, c’est que la misère de ce temps, qui entravait la consommation des marchandises de première nécessité, aussi bien que des objets de luxe, puis le mouvement en sens inverse de la population, qui diminuait d’année en année, et qui devait restreindre la production en même temps que la consommation, paralysa cette hausse du métal. Sans doute, la fonte de la vaisselle et des meubles d’argent de la couronne, des établissemens publics et des particuliers, qu’une ordonnance royale de cette époque prescrivit d’envoyer à la Monnaie, put retarder aussi quelque peu la baisse des prix, en rejetant dans la circulation monétaire un stock qui en avait été retiré. En un temps de prospérité, une pareille ordonnance, une pareille prétention de l’État, rappelant les édits somptuaires de jadis, eût pitoyablement avorté ; au contraire, en des heures de gêne comme celles de la vieillesse du « grand roi, » l’opération eût été faite spontanément par les riches, lors même que l’autorité publique n’y serait pas intervenue. La baisse des prix, dans leur ensemble, n’en est pas moins saillante de 1695 à 1715.

Mais ce qui prouve qu’elle ne tenait pas tant à la misère qu’à un déficit métallique, c’est qu’elle continua de 1715 à 1726, en pleine paix, et qu’elle s’accentua encore sur bien des articles durant ce ministère du cardinal de Fleury (1726-1743), vrai type du gouvernement idéal, que n’illustre aucune action d’éclat, et dont le seul objectif est, sinon d’améliorer la condition des citoyens, ce qui le plus souvent est hors de la portée des hommes d’État, du moins de ne pas apporter d’obstacles au progrès naturel, que l’initiative individuelle recherche et obtient.

Sous ce ministère, les prix étaient non-seulement plus bas d’un tiers ou de moitié que soixante ans auparavant, sous Louis XIV, mais encore moins élevés à beaucoup d’égards que ceux de 1620 (le moment ne valait que 10 francs l’hectolitre au lieu de 13, et le salaire