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particuliers et les princes du XIVe siècle avaient bien moins d’argenterie que ceux du XVe. On sait quel était en ce genre le luxe d’un Charles le Téméraire, tandis que son aïeul Jean sans Peur ne dédaignait pas, dans sa jeunesse, de se servir de plats d’étain pendant que l’on réparait sa vaisselle d’argent, assez mesquine. L’inventaire du comte d’Angoulême accuse, en 1497, pour plus de cent kilogrammes d’écuelles, bassins, aiguières, tasses et coupes d’argent. Ce chiffre paraît lui-même modeste, auprès du faste que de simples citoyens allemands déployaient alors sur leur table. « J’ai été traité à Cologne, raconte un témoin cité par Janssen, avec onze autres invités, dans de la vaisselle d’argent ; des marchands font venir pour leur ameublement personnel des objets d’or et d’argent pesant trente, quarante et jusqu’à cent livres. » (1495.)

Au XVIe siècle, de nouveau, le luxe de l’argenterie paraît diminuer pour reprendre au XVIIe ; en 1615, le parlement demandait au roi « d’interdire la vaisselle d’or, et la profanation de celle d’argent jusques aux moindres ustensiles de feu et de cuisine. » Et cependant il y a pléthore de 1525 à 1600, tandis que le pouvoir de l’argent se relève à partir du règne d’Henri IV.

Une semblable anomalie ne s’explique que d’une seule façon : c’est que l’abondance relative d’or et d’argent, pendant tout le cours du XIVe siècle, a dû introduire peu à peu dans les mœurs l’emploi de l’orfèvrerie et des bijoux ; que ce genre de luxe une fois généralisé, dans les classes aisées s’entend, a subsisté durant le XVe siècle, même après être devenu très onéreux, par cette force de l’habitude, si puissante sur chacun d’entre nous, qui fait que les ouvriers enrichis continuent souvent à se nourrir, à se vêtir, à se loger, comme avant d’être parvenus à la fortune, et que les bourgeois, même tombés dans la pauvreté, ne parviennent pas à renoncer à certaines dépenses somptuaires, qui demeurent pour eux de première nécessité. Le besoin d’ustensiles d’argent était donc devenu assez vif en 1400, au moment où il allait être de plus en plus difficile à satisfaire ; et, après avoir lutté cent ans contre la force des choses, il s’était affaibli en 1520. Lorsque la découverte de l’Amérique lui permit de reparaître, il mit cinquante ou soixante-quinze ans à reprendre, sur les classes moyennes, l’empire qu’il avait perdu.

Ce n’est pas, d’ailleurs, la mainmise de l’orfèvrerie, au XVe siècle, sur un stock plus important de métaux précieux, qui a pu déterminer la hausse de ces métaux. Quoique plus répandu que dans la période précédente, ce genre de luxe l’était encore trop peu pour influer, d’une manière aussi sensible et aussi continue, sur le pouvoir de la monnaie. Je ne crois pas que le passage de