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machine féodale, qui avait été fortement montée aux âges antérieurs, continua-t-elle de fonctionner par ses petits rouages, alors que les grands ressorts étaient arrêtés ? Le morcellement de la domination et de l’administration amortissait-il, dans l’intérieur de chaque fief, le choc des coups que donnait ou recevait le suzerain du royaume ? Si M. Carnot était obligé d’aller tous les ans à Constantinople prêter foi et hommage au sultan, pour la République française, cela n’empêcherait pas les fermiers de payer leurs propriétaires comme devant. Quand les Anglais dominaient en Guyenne et en Normandie, l’économie intérieure des paroisses gasconnes ou normandes n’était pas modifiée pour cela.

Tout en admettant que l’état politique demeurât distinct de l’état matériel, il faut bien reconnaître que l’avilissement progressif de l’argent, le renchérissement de la vie dût avoir ses causes spéciales, les mêmes peut-être qu’au siècle précédent, dont nous apercevons quelques-unes, dont d’autres nous échappent.

Elles cessèrent assez brusquement d’agir, non-seulement en France, mais dans les pays voisins, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, vers 1390, précisément après le règne de Charles le Sage, qui fut pour nous, au milieu de la guerre de cent ans, une oasis réparatrice. Dès lors, le pouvoir de l’argent augmente, la vie diminue de prix, les terres continuent de baisser d’une façon effrayante ; les salaires seuls résistent à cet effondrement, peut-être parce que la population décroît plus encore que la quantité de métaux précieux. Et ce mouvement ne subira presque aucun temps d’arrêt jusqu’en 1500. Il se poursuivra, aussi bien pendant la démence de Charles VI que durant le relèvement du royaume avec Charles VII, et il atteindra son apogée sous Louis XI et Charles VIII, dans les années les plus prospères que la nation ait jamais connues avant notre siècle.

A quoi donc attribuer cette hausse de l’argent sur les marchandises, indépendante de tout événement politique, indépendante du pouvoir de l’argent sur lui-même, dont le crédit, partant létaux de l’intérêt, est le criterium ? (Le taux de l’intérêt est plus bas sous Louis XII que sous Charles le Sage ; l’argent procure plus de marchandises, mais il procure moins d’argent.) A quoi l’attribuer, sinon au changement, d’une date à l’autre, du rapport de la masse des métaux précieux avec la masse des marchandises ? Qui a motivé ce changement ?

Un fait singulier, mais appuyé de nombreux témoignages, c’est que la quantité d’argent et d’or consacrée aux bijoux, aux meubles, aux usages domestiques, par conséquent retirée de la circulation monétaire, est beaucoup plus grande au XVe siècle, où l’argent est cher, qu’au XIVe où l’argent est bon marché. Les