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bien différente de ce qu’elle deviendra plus tard, améliorait la condition des ouvriers et poussait par suite à l’extension de la population ; bref, l’état matériel, comparé à ce qu’il avait été au siècle précédent, favorisait bien davantage l’accroissement des marchandises de toute nature. Cependant ces marchandises, qui ont dû augmenter en quantité, augmentent aussi de prix ; le pouvoir de l’argent baisse. Il faut donc admettre que la production des métaux précieux a dû croître plus encore que la production des marchandises. Le fait, bien que nous n’en ayons aucune preuve positive, paraît certain.

Cet état de choses ne se modifia pas durant les trois premiers quarts du XIVe siècle, ou, pour mieux dire, il s’accentua. Et pourtant ce XIVe siècle fut, politiquement, aussi fou que son prédécesseur avait été sage. Le gouvernement des princes eut beau être mauvais, il ne parvint pas à contre-balancer les conditions économiques de la circulation, de la répartition des richesses. Les tripotages monétaires de Philippe le Bel (1306) n’eurent pas d’influence appréciable sur la fortune publique, ni sur le prix des choses ; la réaction féodale, que l’histoire nous dit avoir eu lieu sous ses fils (1328), n’eut aucun contre-coup dans les masses populaires. Ce fut une querelle de grands, dont les petits ne se ressentirent pas. Il en sera de même plus tard, en Angleterre, durant la guerre des Deux-Roses. Bien mieux, pendant que Philippe VI et Jean le Bon essuyaient les terribles défaites de Crécy et de Poitiers (1346-1356), que le dernier mourait prisonnier à Londres, le trésor royal étant à sec, la révolution dans Paris, la jacquerie dans les campagnes, les Anglais maîtres de la moitié de la France, et les « grandes compagnies » de brigands, semi-Cartouches et semi-chevaliers, se gobergeant dans l’autre moitié, le loyer des maisons, le prix de toutes les denrées, de tous les services, tous les prix en un mot, sauf ceux des terres qui baissaient de 50 pour 100, s’élevaient sans interruption.

Doit-on croire que la force d’impulsion, l’élan donné au XIIIe siècle, suffisait pour maintenir cette prospérité matérielle ? que la France a vécu de 1320 à 1390 sur les réserves qu’elle avait faites de 1250 à 1320 ? La chose serait possible, pour quelques années du moins. Nous en voyons des exemples dans les temps modernes. Même dans l’époque contemporaine, la gêne ne se manifeste pas le jour où naissent les causes qui vont la provoquer, ni l’aisance ne commence jamais à renaître aussitôt que la marche en avant redevient possible. Mais, pour une durée de plus d’un demi-siècle, on ne peut admettre cette hypothèse. L’histoire aurait-elle exagéré ? Ferait-elle dater à tort du milieu du XIVe siècle l’ère désastreuse qui ne devrait commencer qu’avec le XVe ? Je ne le crois pas. La