Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre, nous ne pouvons négliger aucune des marchandises qu’ils sont susceptibles de procurer, dans une mesure plus ou moins forte. Maintenant, dans quelle mesure ces marchandises si diverses : denrées, terre, travail, influent-elles sur le pouvoir de mes kilogrammes d’argent ? Évidemment, dans la mesure où elles existent elles-mêmes sur le marché du monde, sur le marché français tout au moins. Mes deux lingots monnayés d’un kilogramme, qui renferment un peu de blé, un peu de salaires, un peu de terres, et un peu d’intérêt d’argent aussi, si on loue ces lingots au lieu de les vendre, qui renferment un peu de tout enfin, puisqu’ils procurent tout, doivent à coup sûr contenir proportionnellement autant de grammes de métal, ou mieux autant de francs, de chaque marchandise, qu’il existe de milliers, de millions, ou de milliards de francs de chacune de ces marchandises sur le sol de notre pays.

Et combien en existe-t-il ? Voilà qui n’est pas aisé à savoir. Constatons tout d’abord que cette proportion des marchandises entre elles n’est pas la même, en 1500 par exemple, et en 1892. Elle n’est la même presque à aucune époque de l’histoire, parce que toutes ces marchandises ont, dans le cours des siècles, augmenté ou diminué en quantité, et qu’elles ont haussé ou baissé en prix, par des motifs qui leur sont propres, sans qu’il y ait, comme on pourrait le croire, aucune proportion entre leur changement en quantité et leur changement en prix.

Il en est, comme la terre cultivée et le travail, qui ont augmenté à la fois en quantité et en prix, mais beaucoup plus en prix qu’en quantité ; d’autres qui ont diminué à la fois en prix et en quantité, comme certaines denrées, certaines matières premières abandonnées pour d’autres : les poissons d’eau douce, le pastel. D’autres ont été découvertes ou apportées du dehors, que l’on ne connaissait pas ou dont on ne pouvait user : la pomme de terre, les bois exotiques. D’autres ont augmenté en prix moins qu’en nombre : les chevaux, par exemple ; d’autres enfin ont augmenté en nombre et diminué en prix : tels les tissus. L’or et l’argent eux-mêmes ont augmenté en quantité, beaucoup plus qu’ils n’ont baissé de prix ; puisqu’il y a peut-être sur la surface de l’Europe quarante fois plus de métaux précieux, en 1892, qu’il n’y en avait en 1520, tandis que leur prix de vente, — autrement dit leur puissance d’achat, — n’a baissé depuis lors que de cinq à un, et que leur prix de loyer, — autrement dit le taux de l’intérêt, — n’a baissé que de trois à un, tout au plus.

Il résulte de ce qui précède que, si l’on connaissait la valeur de tous les salaires, de toute la terre, de toutes les marchandises consommées annuellement sur le territoire actuel de la France, en 1520 d’une part, et d’autre part en 1892, comme on sait,