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devant nos yeux, percées à jour, parfois honteuses du plein air. L’histoire économique et financière de notre pays est encore à faire. Non pas que de grandes et belles œuvres ne jalonnent déjà la route que devra parcourir celui qui, un jour, l’écrira ; que la lumière n’ait été promenée autour de quelques gros événemens, le long de quelques institutions capitales ; mais, dans son ensemble, cette portion de nos origines reste obscure. Les documens sont épars encore avec lesquels nos descendans composeront des histoires complètes de l’agriculture, du commerce, des salaires, de l’argent, sous ses multiples aspects et dans ses diverses manifestations. Plus tard, peut-être, on connaîtra l’état des moyens de transport au moyen âge, ou le nombre des hectares cultivés sous François 1er, avec autant de précision, que l’on connaît le nom et la durée des maîtresses successives de Louis XIV.

Jusqu’à présent, sauf un Fustel de Coulanges, un Léopold Delisle, un Levasseur, et quelques autres en très petit nombre, les historiens laissent de côté l’économie politique, les économistes s’abstiennent d’aborder l’histoire. Il est cependant une certaine école très savante, qui extrait des trésors du sein des bibliothèques, mais elle répugne généralement à en tirer parti. Elle livre au public des blocs de marbre, qu’il ne lui plaît ni de tailler ni de voir tailler. Y porter une main profane, interpréter, dévêtir, débarbouiller seulement ces documens, vierges de toute explication, inféconds par là même, c’est, aux yeux de ces maîtres trop scrupuleux, commettre une sorte de viol historique, réduire un texte inattaquable en une vile pâte à discussion. De peur de faire mentir ce texte en le faisant parler, ceux-là préfèrent le voir se taire. Cependant, s’il se tait, nous ne saurons rien.

Pour étudier avec fruit la situation pécuniaire des différentes classes, et les transformations respectives qu’elles ont subies aux siècles passés, il fallait naturellement passer en revue les sources de leurs recettes et les chapitres de leurs dépenses. Comme de nos jours, ces recettes proviennent du capital, — valeurs mobilières ou propriété foncière, — et du travail.

L’histoire des salaires, c’est l’histoire des pauvres ; l’histoire de la terre et de l’argent, c’est celle des riches, des gens qui peuvent vivre sans travailler. C’est par eux que nous commencerons.


I

Une conclusion de ces recherches, qu’il importe de signaler tout d’abord, c’est que les faits politiques ou sociaux et les phénomènes économiques sont indépendans les uns des autres : un pays de serfs ou de demi-serfs peut être heureux, une nation de citoyens