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Jéhovah, l’associé, le complice des ambitions et des convoitises de ses fidèles, est surtout l’objet de ses sarcasmes indignés. Ce n’est pas qu’il ait trouvé pour combattre le monothéisme sémitique des armes bien nouvelles. Il a beau être plus familier que Voltaire avec la Bible, où sa mère lui a fait apprendre à lire, le plus souvent il se borne à rhabiller à neuf ses plaisanteries sur les récits bibliques.

Il a des sympathies personnelles pour le Christ, dans lequel il voit une espèce de Multatuli imparfait, tel que l’antiquité pouvait le produire. Mais le christianisme est à ses yeux le plus grand obstacle aux progrès de la civilisation et au bonheur de l’humanité. L’époque des pères de l’église est une tache noire dans l’histoire de l’humanité. Aussi Multatuli pardonne-t-il volontiers à l’empereur Constantin le meurtre de ses parens. La famille impériale était par trop nombreuse. Mais ce qu’il ne lui pardonne pas, c’est d’avoir assuré le triomphe des idées chrétiennes, et fait de la religion du Christ un culte d’État.

Pour l’exégèse du christianisme et l’histoire de l’Eglise, il en est encore au Dictionnaire philosophique et à l’Essai sur les mœurs. Il a longtemps frayé avec la pléiade philosophique du XVIIIe siècle, et doit beaucoup à Voltaire, à Diderot, à Rousseau même, qu’il maltraite souvent, et aussi aux dii minores, Helvétius et d’Holbach.

Élevé dans le protestantisme dissident, il s’est dégagé plus complètement encore des préjugés protestans que des croyances chrétiennes. C’est un effet naturel de cet esprit de contradiction qui est un des élémens de sa personnalité intellectuelle et morale.


A un certain point de vue, dit-il, l’Église catholique est une des plus belles créations des hommes. Elle est le résultat de la logique des faits… Je ne m’occupe pas ici de la vérité ou de l’erreur qu’il y a dans ses doctrines, mais de l’application de ces doctrines. Je trouve un reflet de poésie jusque dans les erreurs, — dans ce que ceux qui pensent autrement qualifient d’erreurs.


Et il vante le bonheur des catholiques italiens :


Qui vivent dans l’intimité des demi-dieux de la mythologie catholique. On s’entretient avec sainte Rosalie, avec sainte Lucie, avec sainte Monique. On est en relations avec la vierge Marie, on la remercie d’un service rendu, on stimule son zèle, on va jusqu’à la gronder comme un enfant qui n’est pas sage.