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le malais et quelques autres des cinquante langues ou dialectes parlés dans l’Insulinde. Actuellement on exige des aspirans fonctionnaires un diplôme délivré par l’école de Delft, où l’on enseigne les langues orientales. Poussé par le désir de se mettre en contact plus direct avec les populations indigènes et de demander à la vie orientale ces confidences intimes qui ne se traduisent pas, au moins autant que par la volonté de faire son chemin, il se mit en peu de temps en état de parler et d’écrire, non-seulement le malais, mais encore deux ou trois des langues les plus répandues dans l’archipel. Ses loisirs, il les partageait entre des études faites un peu au hasard et des travaux littéraires destinés à rester inédits, car l’Inde n’offrait aucune possibilité de les publier. En passant, il avait trouvé moyen d’apprendre le français, l’anglais, l’allemand, et de se donner une idée superficielle des trois grandes littératures de l’Europe occidentale. Si peu instruit qu’il fût, d’ailleurs, il l’était plus que la plupart de ses collègues ; il avait une compréhension vive, le désir de se rendre utile, une grande facilité à s’exprimer et une rédaction des plus alertes. Aussi, dès l’été de 1842, fut-il promu au grade de contrôleur à la côte ouest de Sumatra. Pendant les huit années qui suivirent, il occupa successivement des positions analogues à Natal, à Kroewangie, à Bagalen, à Menado. Ses allures indépendantes et l’irritabilité de son humeur, encore exaspérée par le climat, lui valurent sans doute ces fréquens déplacemens, ainsi que deux mises en non-activité temporaire.

Pendant qu’il était comptable à Batavia, il s’était converti à la religion romaine, par amour pour une demoiselle Caroline V…, fervente catholique, qu’il finit cependant par ne point épouser.

En 1846, il se maria dans des circonstances caractéristiques. Un jour, dans un bal officiel, il dansa avec une jeune personne dont le mouchoir portait ces initiales : E. H. V. W. Everdina H. van Wijnbergen. Dekker lut : Eigen haard veel waard ! (rien ne vaut un foyer à soi), et demanda la jeune fille en mariage.

Cette union fut très heureuse pendant quelques années. La jeune baronne de Wijnbergen appartenait à une famille de bonne noblesse hollandaise presque complètement ruinée. « Elle n’était pas jolie, nous apprend-il lui-même, mais elle avait dans le regard et la voix quelque chose d’agréable. Elle n’avait rien de cet air contraint et guindé des bourgeoises qui affectent la distinction. » Dekker aimait beaucoup sa femme, pour laquelle il se montra toujours tendre et affectueux. Pour troubler la paix du ménage, il fallut la terrible question du pain quotidien.

À cette époque, Dekker était un beau garçon, svelte, élancé,