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Quand il avait tout retrouvé à sa manière et tout rangé à sa place dans son système, il lui arrivait parfois d’oublier la bonne occasion que les autres lui avaient offerte de repenser leur pensée. En ce qui concernait ses inventions propres, tantôt il était fort jaloux de leur nouveauté et de leur originalité, tantôt il se laissait prendre son bien sans trop de souci, et se montrait généreux des miettes de son génie ; un de ses amis lui reproche sur ce sujet sa magnanimité. Au reste, c’était entre les savans d’alors un tel conflit de prétentions pour toute découverte, que l’historien finit par s’y perdre. Ce n’en est pas moins Descartes qui, d’après les travaux les plus récens, sort à son honneur des discussions relatives à la découverte des lois de la réfraction et des lois de l’ascension des liquides.

En somme, Descartes a établi sur ses vraies bases la physique moderne, qui est l’étude des transformations diverses du mouvement. Mais, supérieur en cela à bien des savans et philosophes de notre temps, il n’a jamais admis la transformation possible du mouvement, comme tel, en pensée. Tandis que, par exemple, nous voyons Spencer osciller pitoyablement sur ce point, passer de la négation à l’affirmation, présenter parfois la pensée comme une transformation de la chaleur et des vibrations cérébrales, Descartes, lui, n’hésite jamais : le mouvement est d’un côté, la pensée est de l’autre, et de tous les mouvemens réunis ne peut, comme dira Pascal en commentant Descartes, réussir la moindre pensée. Descartes n’eût donc pas admis, comme Spencer, que l’évolution du monde soit de nature uniquement mécanique et que ses facteurs primitifs ne renferment aucun élément mental. Pour Descartes, l’évolution est indivisiblement mécanique et intellectuelle.


V

De même que la physique moderne, la physiologie moderne a été établie par Descartes sur ses vrais fondemens. Les corps organisés réclament-ils, au point de vue de leurs fonctions vitales, un principe nouveau différent du pur mécanisme ? Nullement ; l’organisme vivant n’est encore, selon Descartes, qu’un mécanisme plus compliqué, la physiologie n’est qu’une physique et une chimie plus complexes. Le vitalisme de l’école de Montpellier, avec son « principe vital » digne du moyen âge, l’animisme de certains médecins, qui attribuent à l’âme la vie répandue dans le corps, sont pour Descartes des rêveries scolastiques. Dans son écrit des Passions de l’âme, Descartes fait cette remarque grosse de conséquences, que le cadavre n’est pas mort seulement parce que l’âme