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courbe, c’est que sa direction naturelle est continuellement changée par l’obstacle que lui apporte la corde ; sans cela, la pierre s’échapperait par la tangente, et c’est ce qu’elle fait dès qu’elle est abandonnée à son mouvement propre. De tous les mouvemens, « il n’y a que le droit qui soit simple » et irréductible ; tout autre est complexe et peut se réduire à la résultante de mouvemens divers. C’est donc dans la ligne droite que nous trouvons ici « l’idée claire et distincte, la nature simple » où se repose l’esprit, et que la méthode cartésienne prescrit partout de poursuivre.

La troisième loi, qui a également acquis droit de cité dans la science moderne, concerne la communication du mouvement. Celle-ci ne dépend, dit Descartes, que d’un seul principe : lorsque deux corps se rencontrent qui ont en eux des mouvemens incompatibles, « il doit se faire quelque changement à ces modes pour les rendre compatibles ; mais ce changement est toujours le moindre qui puisse être. Lorsque la nature a plusieurs voies pour parvenir à un même effet, elle suit toujours infailliblement la plus courte. » Ainsi, un fleuve coule là où il y a le plus de pente et le moins d’obstacles. C’est donc encore Descartes qui a formulé cette célèbre loi de la moindre action, de la moindre dépense, de l’économie de la nature, des voies les plus simples et les plus faciles, toutes expressions synonymes. Cette loi, soutenue ensuite par Fermât, par Euler et Maupertuis, donna lieu à de nombreuses et interminables controverses philosophiques. Les partisans des causes finales ne manquèrent pas d’y voir un dessein de la nature ou de Dieu. Mais Lagrange, revenant à Descartes, démontra qu’elle dérive des lois primordiales du mouvement. « Le principe de la moindre action, conclut Lagrange, ne doit donc pas être érigé en cause finale : » il ne faudrait pas, encore aujourd’hui, s’extasier sur les résultats mécaniques de cette loi comme si elle manifestait une intention et une finalité.

Il est un autre grand principe de la mécanique moderne dont on veut faire honneur au génie de Newton et que nous devons, nous Français, revendiquer au profit de Descartes, puisqu’il faut rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est le principe de l’égalité de l’action et de la réaction, inexactement appelé « principe de Newton. » Descartes l’énonce comme corollaire de sa troisième loi : « Quand un corps en pousse un autre, dit-il, ce corps ne peut lui donner aucun mouvement qu’il n’en perde en même temps autant du sien, ni lui en ôter que le sien ne s’augmente d’autant. »

On le voit, si Descartes s’est trompé sur plusieurs des lois particulières du choc, il n’en a pas moins formulé avec exactitude et réduit le premier en système ces grandes lois générales du mouvement qui sont les vraies raisons de l’évolution cosmique.