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l’imagination, sous un symbole plus ou moins grossier, la propriété intelligible qu’ont les parties de l’espace d’être en dehors les unes des autres. Si rien ne nous causait la sensation originale de résistance, d’effort arrêté, nous ne concevrions pas l’impénétrabilité. Scientifiquement, celle-ci se résout en deux mouvemens de sens contraire qui se font équilibre ; c’est un simple arrêt de mouvement.

Au point de vue de la physique, Descartes a donc raison et ses idées seront de plus en plus confirmées. En dehors du moi et de tous les êtres sentans et agissans, il n’y a rien dans l’univers, pour le physicien, que des relations géométriques ou mécaniques, qui peuvent être soumises au calcul. De là le mot fameux de Descartes : « Donnez-moi l’étendue et le mouvement, je construirai le monde. » Comme la physique proprement dite n’a pas à s’occuper de l’essence des corps, comme elle se borne à l’étude des phénomènes et des lois, on peut dire que Descartes a fondé la physique sur sa base définitive.


Si, en dehors du mental, la matière proprement dite, la matière nue n’est que l’espace, il en résulte immédiatement que le monde est infini en étendue. Avec quelle mordante ironie Descartes raille ceux qui veulent enfermer l’univers « dans une boule ! » Il implique « contradiction, ajoute-t-il, que le monde soit fini ou déterminé, parce que je puis concevoir un espace au-delà des bornes du monde, quelque part que je les assigne. » Autre, d’ailleurs, est cette infinité d’étendue, et autre l’infinité de perfection que l’on conçoit « en Dieu seul. » Sur l’éternité du monde dans le passé, Descartes n’ose se prononcer ouvertement, cette opinion sentant trop le bûcher ; mais il est facile de voir quelle était sa pensée de derrière la tête. Pourquoi Dieu aurait-il attendu un certain moment précis pour créer ? Il répugne à la raison, dit quelque part Descartes, de croire que la puissance suprême « soit restée, dans la création, au-dessous de la puissance de notre imagination. » Descartes admet tous les infinis de quantité ; et si on lui objecte qu’il y a alors des infinis plus grands les uns que les autres, comme deux bandes parallèles infinies dont l’une est le double ou le triple de l’autre, il répond, avec une concision et une force admirables. « Pourquoi pas, puisque c’est sous quelque rapport fini que les infinis sont plus ou moins grands ? » Cur non, in ratione finita ?

Le mouvement étant le mode d’existence essentiel à la matière, la matière infinie est nécessairement mue et « enveloppe une infinité de mouvemens qui durent perpétuellement dans le monde ; « il n’y a rien dans aucun lieu qui ne se change, et ce n’est pas dans