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l’imagination ardente, une sorte d’exaltation intérieure qui allait, dit Voltaire, jusqu’à la « singularité, » mais que contenait la raison la plus ferme peut-être qu’ait montrée un philosophe.

Les découvertes de Descartes devaient révolutionner et les sciences mathématiques et les sciences physiques. La notation des exposans a transformé l’algèbre, la théorie des fonctions variables a préparé le calcul des fluxions ou calcul différentiel. La méthode cartésienne des indéterminées, dit Carnot, « est si admirable qu’elle touche à l’analyse infinitésimale, et que l’analyse infinitésimale n’est qu’une heureuse application de la méthode des indéterminées. »

Mais nous ne pouvons ici entrer dans le détail de ces découvertes ; c’est l’application de la méthode au système du monde que nous voulons mettre en évidence : nous voulons faire voir que Descartes est le vrai fondateur de l’évolutionnisme entendu dans son sens légitime. Combien il est supérieur à tous ceux qui, de nos jours, parlent de l’évolution au sens vague, comme d’une loi ou force primordiale ! A vrai dire, l’évolution n’est qu’un résultat de lois plus profondes ; elle ne produit rien, elle est produite ; elle n’explique pas, elle est à expliquer. Depuis les travaux de Spencer, on met sans cesse en avant l’Évolution, comme une sorte de divinité qui présiderait au développement des êtres ; c’est confondre l’effet avec la cause, la conséquence avec le principe. « L’évolution, dit Spencer, est un passage graduel de l’uniformité primitive à la variété, de l’homogène à l’hétérogène, de l’indéfini au défini. » A la bonne heure ; mais ce sont les lois du mécanisme universel qui ont pour résultat final ce passage des choses d’un état de dispersion relativement uniforme, où elles sont pour nous indistinctes et imperceptibles, à un état de concentration et de variété régulière, où elles deviennent pour nous distinctes et perceptibles. L’évolution n’est donc qu’une application de la mathématique universelle, dont les principes doivent, avant tout, être établis. Ils l’ont été par Descartes ; bien plus, ils ont reçu de lui leurs premières et leurs plus importantes applications.

Descartes a compris d’abord une vérité que la doctrine de l’évolution et de la sélection naturelle a mise hors de doute : c’est que « nos sens ne nous enseignent pas la réelle nature des choses, mais seulement ce en quoi elles nous sont utiles ou nuisibles. » La raison que Descartes en donne, avant Helmholtz, c’est que nos sensations sont des « signes » du rapport « qu’a notre corps avec les autres corps », et que ces signes ont pour unique objet « sa conservation. » Le darwinisme ajoutera que, dans la lutte pour la vie, ces sensations seules se sont développées qui