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centre à la circonférence, du principe aux faits, au lieu d’aller de la circonférence au centre, des faits au principe. D’un seul coup, il se place à la source de toutes choses et prétend en voir sortir, pour le suivre en ses détours, le torrent sans fin des phénomènes.


III

Il y a quelque chose de plus grand que d’ajouter à la somme des connaissances humaines, c’est d’ajouter à la puissance même de l’esprit humain. C’est ce qu’a fait Descartes par la création de sa « mathématique universelle. » Biot lui-même, qui reproche à Descartes d’avoir trop fait de métaphysique, reconnaît, en parlant de l’application de l’algèbre à la géométrie, que « Descartes fut servi beaucoup en cette occasion par la métaphysique de son esprit. » Et Descartes avait alors vingt-trois ans ! C’est un moment solennel, et dans la vie de Descartes et dans l’histoire de la science, que cet hiver de Neubourg où le jeune homme, renfermé dans son « poêle, » découvrait, avec l’application de l’algèbre à la géométrie, les règles de la mathématique universelle. Son imagination était surexcitée ; il vivait dans un monde de figures et de mouvemens qui lui apparaissaient se combinant à l’infini, selon des lois de composition régulière : c’était le monde des possibles, lié par un lien secret au monde des réalités. Comment trouver ce lien ? Une clarté se fit dans son esprit : il se représenta les vérités géométriques, d’une part, et les vérités arithmétiques ou algébriques, de l’autre, comme ne faisant qu’un dans une science générale de l’ordre et des proportions, qui serait « la mathématique universelle ; » puis, dans cette mathématique, il crut découvrir le secret de la nature entière. C’est ce que nous apprend la lecture du Discours de la Méthode ; c’est ce que confirme son épitaphe, écrite par un de ses amis les plus intimes, Chanut : « Dans les loisirs de l’hiver, comparant les mystères de la nature avec les lois de la mathématique, il osa espérer qu’une même clé pourrait ouvrir les secrets de l’une et de l’autre. » Dans ses Olympiques, Descartes disait que, « le 10 novembre 1619, rempli d’enthousiasme, il avait trouvé les fondemens d’une science admirable. » C’était la méthode d’analyse et de synthèse universelle, avec la réduction de l’algèbre, de la géométrie et de la mécanique à une seule et même science, celle de l’ordre et des proportions. Pendant la nuit suivante, il eut trois songes qu’il interpréta, avant même d’être éveillé, comme des révélations de l’esprit de vérité sur la voie qu’il devait suivre : Quod vitæ sectabor iter ? Car il avait