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et définitive valeur qu’en devenant partie intégrante d’un système qui enferme, d’une part, les lois générales du monde, et de l’autre, celles de l’intelligence humaine.

Combien Bacon, trop célébré, est loin de Galilée ! Il n’invente rien, ni dans la philosophie, ni dans les sciences, dont il s’occupe en dilettante. Il se borne à analyser, avec une minutie plus imaginative que rationnelle, les procédés de l’observation et de l’induction. Sa méthode est insuffisante, même dans les sciences expérimentales, parce qu’elle n’accorde point leur place légitime ni à l’hypothèse, ni à la déduction, ni au calcul. Bacon se défie des mathématiques, qui doivent être, dit-il, les servantes et non les maîtresses de la physique. Il combat aveuglément le système de Copernic pour y substituer un système de sa façon, enfantin et burlesque. On lui a justement reproché d’admettre une masse de superstitions, de prêter aux corps une espèce « d’imagination, » de faire « reconnaître à l’aimant la proximité du fer ; » de supposer la « sympathie » ou « l’antipathie » des « esprits » comme cause des phénomènes naturels ; de croire à la suppression des verrues par la sympathie, d’admettre le « mauvais œil ; » de mêler la « chaleur astrologique » d’un métal, ou d’une constellation, à la chaleur telle que l’entend la physique. Bacon, quand il est plus pénétré du véritable esprit de la science, ne cesse pas de se perdre dans des classifications incertaines qui se prêtent à toutes les imaginations ; il nous décrit les « cas migrans, » les « cas solitaires, » les « cas clandestins, » etc. Il surcharge sa théorie de la démonstration d’idées superflues. Enfin, il met trop souvent des métaphores à la place de démonstrations.

En somme, on a justement appliqué au XVIe siècle tout entier ce que Campanella, jouant sur le sens de son propre nom, disait de lui-même : « Je suis la cloche qui annonce le lever du jour. » Le jour n’est levé que quand ont disparu toutes les ombres, tous les fantômes créés par la nuit, quand les réalités apparaissent avec leurs vrais contours, à leur vraie place, dans la pleine lumière qui les fait saillir. Ce complet lever de la science moderne, avec la disparition simultanée de toutes les chimères et de tous les rêves scolastiques, il ne commence pas seulement, il s’achève, en une seule fois avec Descartes. Le système cartésien du monde, s’il renferme des erreurs, ne laisse pas place à une seule des entités, formes et vertus occultes qui peuplaient avant lui la philosophie et la science. Nous allons même voir que, sous ce rapport, Descartes est en avance sur beaucoup de doctrines contemporaines, si bien qu’il n’y a pas, dans toute l’histoire, pareil exemple d’un changement à vue aussi complet.