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ait été assez près il y a quelques semaines et qu’elle n’en soit pas encore absolument garantie. En revanche, il n’est pas bien sûr qu’elle n’ait eu récemment, — un peu peut-être par contagion, — sa petite panique causée par les anarchistes et les praticiens de la dynamite. Elle a aussi ses grèves ou de ces sinistres accidens du travail, comme cette cruelle explosion d’Anderlues, qui vient de faire d’innombrables victimes. Elle a surtout, pour l’occuper ou pour la distraire, sa révision constitutionnelle ; cette révision qui, depuis un an, met tous les esprits en l’air, se complique à chaque pas et crée en définitive une situation passablement critique aux partis, au parlement, au ministère, au roi lui-même. Comment sortira-t-on de ce fourré d’épines ? Par quel prodige d’habileté ou de sagesse arrivera-t-on à se mettre d’accord sur un programme de révision pour préparer la réunion d’une assemblée constituante ? Mettra-t-on dans le programme le suffrage universel, objet primitif des revendications populaires ? Y inscrira-t-on aussi le référendum royal, cette nouveauté singulièrement inattendue dans une constitution libérale, et à quelles conditions admettra-t-on ce droit de référendum ? Le fait est que toutes les combinaisons se heurtent dans la mêlée, que la section centrale du parlement en est à son deuxième ou troisième rapport, que le ministère s’épuise en projets de conciliation sans rien concilier, que les vieux partis belges sont en plein désarroi, et que cette campagne de la révision est déjà fertile en incidens étranges ou piquans.

Évidemment, si on s’en était tenu à ce qui a été l’objet primitif du mouvement révisionniste, à l’extension du droit électoral, la question, sans laisser d’être toujours grave, aurait été du moins plus simple ; elle serait restée concentrée sur un point précis. Le suffrage universel, réclamé par les pétitionnaires, aurait probablement été admis avec des atténuations, avec des garanties qui auraient suffi pour rallier bon nombre de catholiques et de libéraux. Soit qu’on ait voulu profiter de l’occasion, soit qu’on ait cédé à une secrète logique des choses, on s’est laissé entraîner. Il ne s’agit plus seulement aujourd’hui du suffrage universel complet ou mitigé ; il s’agit d’une révision infiniment plus étendue de la constitution, dont le gouvernement lui-même a cru habile de prendre l’initiative, — qui touche au principe, à l’essence du régime constitutionnel et parlementaire, au rôle des pouvoirs dans l’État. Le premier effet de cette extension de l’idée révisionniste a été de mettre une sorte d’anarchie dans les partis, parmi les libéraux comme parmi les catholiques ou ministériels eux-mêmes. On en est venu rapidement à ne plus s’entendre, à tomber dans de véritables guerres intestines, et un des plus curieux incidens de cette confusion est certainement ce qui vient d’arriver à M. Nothomb, une des têtes du parti catholique, un ancien garde des sceaux, ministre d’État, et hier encore président de l’association conservatrice de Bruxelles.