Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corporations vivantes et agissantes, ayant leur autonomie, leur dotation, leur budget, indépendantes dans l’administration et la direction de l’enseignement supérieur ? Sont-elles appelées à réaliser graduellement une décentralisation intellectuelle par la substitution des universités régionales à la vieille université de France ? C’est la logique de leur origine : elles pourraient certes dans ce cas devenir des institutions puissantes ; mais alors, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, elles sont une sorte d’anomalie ou de dissonance dans la vie française, la contradiction du mouvement qui s’accomplit dans notre pays depuis un siècle, depuis la révolution. Les universités, au contraire, sous l’apparence des franchises et des libertés qu’on a l’air de leur accorder, ne seront-elles qu’une réunion assez artificielle de facultés, toujours rattachée à l’État, qui garderait, comme il le parait, le droit de nommer les professeurs, de fixer leur traitement, de déterminer les programmes d’examen, de ratifier ou de biffer les dépenses ? Alors elles ne sont plus qu’une fiction ! De telle sorte que ces universités nouvelles en sont à offrir provisoirement cette singulière perspective de dépasser la mesure ou de n’être plus rien, de n’être qu’un mot couvrant plus ou moins la continuation de ce qui existe. Le sénat, sans avoir rien décidé encore, paraît s’être un peu arrêté devant cette alternative ; il a le temps d’y réfléchir. Ce qui reste vrai, au demeurant, c’est qu’il y a un travail qui s’accomplit pour l’amélioration de l’enseignement supérieur et que le mieux serait peut-être de le poursuivre simplement, modestement, sans se laisser abuser par des idées vagues qui ne seraient qu’une illusion de plus.

Si c’était une compensation, on pourrait dire sans doute que ce qui est l’histoire de la France est aussi l’histoire de l’Europe, que notre pays n’a pas seul le privilège des œuvres difficiles, des luttes sociales ou religieuses, des menées anarchistes et même des instabilités ministérielles. Les ministères européens du moment n’ont pas en général la vie facile, pas plus à Londres qu’à Rome, pas plus à Vienne ou à Pestb, qu’à Madrid ou à Athènes. — C’est la faute du régime parlementaire avec ses interpellations et ses prétentions, dira-t-on ; mais ce n’est pas seulement dans les pays à parlemens qu’il y a des coups de théâtre imprévus, — et voici l’Allemagne elle-même, dont le gouvernement se flatte pourtant de n’avoir rien de parlementaire, voici l’Allemagne qui s’en mêle, qui vient d’offrir à son tour le spectacle d’une crise où tout est au moins bizarre, où se dévoilent et les incohérences d’une politique et le caractère d’un souverain mobile dans ses impétuosités. Un ministre qui disparaît en pleine faveur du prince, le chancelier lui-même, menacé, ébranlé dans sa position, une démission donnée, un ministère rajusté tant bien que mal, qu’est-ce à dire ? que signifient ces brusques et soudaines oscillations dans les conseils impériaux ? Comment s’est accompli ce coup de théâtre qui met le ministre des cultes,