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Voilà des incidens qui ont certes leur signification dans la marche présente des choses, qui ne sont néanmoins que des incidens si on sait garder quelque sang-froid. Heureusement, nous en convenons, en dehors de ces violences et de ces agitations factices, il y a toujours un travail qui s’accomplit. Il y a des questions qui touchent aux intérêts permanens, profonds, du pays, et qui sont faites pour fixer tous les esprits réfléchis. Il y a de graves et utiles discussions, comme celle qui s’est ouverte récemment au sénat à l’occasion d’une loi destinée à concentrer et à fortifier l’enseignement supérieur par la création d’universités nouvelles. Ce n’est plus ici une controverse bruyante, décousue et stérile où se déploient les passions de parti. C’est un débat relevé par le talent et l’éloquence, soutenu avec autant d’éclat que de force par M. Challemel-Lacour, M. de Rozière dans un camp, M. Bardoux, M. le ministre de l’instruction publique dans un autre camp, — engagé entre ceux qui attendent tout de la réorganisation universitaire proposée et ceux qui n’ont qu’une foi limitée à l’institution nouvelle. Ce n’est encore de plus qu’un débat préliminaire, une première délibération sur le principe même de la loi qui ressusciterait les universités en France. Qu’en sortira-t-il ? A quoi s’arrêtera-t-on en définitive ? Rien certes de plus utile, de plus digne d’un grand pays que de travailler sans cesse à perfectionner l’enseignement national, à développer les généreuses cultures de l’esprit, à multiplier les foyers de la science. Rien aussi de plus séduisant que ce mot d’université. C’est le rôle des pouvoirs intelligens de chercher, d’essayer, — à la condition cependant de ne pas prendre des mirages pour des réalités, de ne point sacrifier des traditions vivaces, des méthodes éprouvées, les idées et les intérêts les plus sérieux à des expériences qui ne seraient que des illusions.

On dirait à entendre de présomptueux novateurs qu’ils ont tout inventé, qu’ils découvrent tout, que le progrès ne date que d’eux, qu’on n’a commencé que de nos jours et sous leur consulat à instruire les hommes ; mais ce n’est pas d’aujourd’hui apparemment que la France est une nation instruite et intelligente. Le plus vieil enseignement, même celui de l’ancien régime, et depuis près d’un siècle, l’enseignement reconstitué, l’université nouvelle, avec leurs méthodes, avec leurs systèmes d’études, ont produit, ce nous semble, des générations qui ont fait une certaine figure dans le monde. Les prétendus novateurs, avec leurs réformes qui ne sont pas toutes des nouveautés, ne feront peut-être pas mieux. On dirait aussi que jusqu’à ces derniers temps tout a été en déclin en France, tandis que tout grandit et prospère au dehors, que les étrangers seuls, Allemands ou Anglais, savent ce que c’est que la science, le progrès, la culture scientifique et intellectuelle ; mais enfin, si les étrangers, avec les institutions scolaires qu’on leur envie, ont eu leurs savans, la France apparemment a eu