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civilisation, la « ville lumière, » comme on l’appelait si pompeusement, il se trouverait des artisans de meurtre et de destruction, complotant contre la cité populeuse et florissante. Il faut pourtant bien se résigner à l’aveu de l’humiliante vérité ; il n’y a pas à épiloguer puisque le fait brutal existe, puisqu’en quelques jours la dynamite s’est promenée sur les points les plus opposés de Paris, au boulevard Saint-Germain, à la caserne Lobau, hier encore à la rue de Clichy, — puisque les maisons sont là, dévastées, éventrées comme si la guerre y avait passé, et que c’est un hasard heureux, s’il n’y a pas eu plus de victimes humaines. C’est un fait avéré désormais, qu’il y a on ne sait où, on ne sait dans quels repaires, une affiliation du crime, un noyau de conspirateurs pervers sous le nom d’anarchistes, se servant des raffinemens de la science contre Paris, contre la société tout entière, prêts à frapper indistinctement, à l’aveugle, sans s’inquiéter du nombre de leurs victimes, détruisant pour détruire. Voilà le fait constaté et démontré ! Non, sans doute, il ne s’agit plus ici d’opinions, même d’opinions hardies, déguisées sous le voile d’un intérêt populaire : ce sont tout simplement des malfaiteurs publics, traitant toute une population en ennemie, méditant, organisant froidement leurs coups, et l’effet de ces explosions méthodiques est doublé encore par le mystère dont le crime est resté jusqu’ici enveloppé. Que de tels attentats, si visiblement coordonnés, soient faits pour émouvoir la population parisienne, et que l’anxiété publique passe dans le parlement lui-même, c’est certes trop naturel. On se tourne vers le gouvernement, on lui demande aide et protection. On le presse de se multiplier, de déployer son énergie et de mettre sa police en campagne. On lui offre, au besoin, de nouvelles lois et pour régler le commerce de la dynamite et pour fortifier la répression des crimes. C’est ce que la chambre a déjà fait. On veut à tout prix se défendre, en défendant Paris, on craint le danger d’un ébranlement d’opinion : rien de mieux assurément, à condition de ne pas se méprendre.

Des lois, des lois, soit ! Ce ne sont point, après tout, les lois qui manquent : on peut, si l’on veut, en ajouter de nouvelles, fortifier la répression ; mais il est bien clair qu’il ne suffit pas de voter des lois, que toute la question est dans la manière de les appliquer, et, avant tout, on pourrait ici se livrer à un petit examen de conscience. Si on trouve qu’il n’y a pas de répression, que la police s’est laissé un peu surprendre, qu’elle est impuissante ou insuffisante en présence de ces crimes nouveaux, à qui la faute ? Est-ce que la police, partout où elle est engagée, n’est pas toujours exposée à être désavouée ? Est-ce que ces derniers jours encore, un député radical ne prétendait pas qu’il n’y avait d’autres anarchistes que les « policiers, » — en y ajoutant, il est vrai, les « anarchistes cléricaux ? » Depuis dix ans, et plus, on n’est occupé qu’à mettre la police en suspicion, à la décourager, à la