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approprié au goût des Français et à la vie de Paris, qu’on ne faisait plus de déjeuner où celui-là ne fût à côté du chocolat ou du café à la crème. » Les uns plus tôt, les autres plus tard, tous les pays auront leur grande et leur petite presse, leurs journaux graves et leurs journaux plaisans, leurs cuirassiers et leurs hussards, leurs feuilles politiques, littéraires, théologiques, scientifiques, leurs gazettes officielles, leurs Petites-Affiches, leur Journal des savans et leur Mercure galant. Les innovations heureuses trouvaient bien vite des imitateurs d’un bout de l’Europe à l’autre. Quand Addison et Steele eurent créé le journalisme satirique et moralisant, ils firent école, et toutes les capitales du continent eurent leur Spectateur, leur Babillard, leur Mentor. Il n’y avait que le titre de changé.

Cependant tous les terroirs ne se prêtent pas également à de certaines cultures, et s’il est vrai que Vienne ait créé le journalisme, cette mère fut une marâtre. Durant plus de deux siècles, il n’a eu en Autriche que de très courtes prospérités. La semence était tombée dans une terre ingrate, maigre, et les jours de soleil étaient rares. M. Zenker en convient ; mais il s’en prend surtout à la guerre de trente Ans et aux invasions des Turcs. J’aurais voulu qu’au lieu d’écrire une monographie, il écrivît une histoire, qu’il traitât son sujet avec plus de développement et d’ampleur, qu’il nous ouvrît quelques jours sur la société viennoise d’autrefois, qu’il nous montrât par exemple en quoi la Vienne de la première moitié du XVIIe siècle différait du Paris de Louis XIII et ce qu’était le public lettré et lisant sous le règne de ce Ferdinand II, qui haïssait tout ce qu’aimait Richelieu et ne songeait guère à fonder des académies.

Cet empereur bigot et solennel, à la main lourde, au cœur dur, qui n’avait d’autre délassement que la chasse, qui entendait chaque jour deux ou trois messes et ne manquait jamais vêpres et complies, était allé chercher sa femme dans la brillante cour de Mantoue, dans la maison des Gonzague. Il avait épousé Éléonore, fille du duc Vincent Ier, sur laquelle un Italien, M. Intra, vient de publier une très intéressante notice[1]. Elle avait amené avec elle des musiciens, des peintres, des poètes, et dès ce temps l’influence italienne commença de se faire sentir à Vienne. On jouait souvent la comédie dans ses appartenons ; l’empereur assistait quelquefois à ces représentations et daignait se dérider ; mais il méprisait son plaisir. Les lettres, les sciences, les livres, les journaux, lui étaient suspects ; il savait quel parti en peuvent tirer les disputeurs, les hérésiarques. Ses sujets ne lui donnaient, ce semble, ni tort, ni raison ; tout porte à croire qu’ils restaient fort indifférens à cette affaire.

Un document publié par M. Intra nous apprend qu’en 1623 le duc

  1. Le duc Éléonore Gonzaga Imperatrici. Mantova, 1891.