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rédaction Mézeray, Bautru, Voiture, La Calprenède. « Renaudot, a-t-on dit, narrait avec ordre, avec intelligence, et son style vif et agréable conserve encore toutes ses grâces. » C’est beaucoup dire, mais enfin il s’appliquait à mettre un peu de tour, d’agrément dans ses récits. Pour n’en donner qu’un exemple, le roi d’Espagne n’ayant pu se dispenser d’envoyer ses félicitations à Louis XIII qui relevait de maladie, l’ambassadeur chargé de cette mission s’en acquitta fort tard et de mauvaise grâce. Voici comment la Gazette, dans son septième numéro, rapportait cet incident, en profitant de l’occasion pour donner un coup de patte à l’Espagne : « Le marquis de La Fuente del Toro, envoyé par le roi catholique pour se conjouir avec Sa Majesté du recouvrement de sa santé à Lyon, et qui arriva il y a un mois, est sur son partement pour l’Espagne, s’étant avisé de ce compliment lorsqu’on n’y pensait plus, comme Sa Majesté le lui fit sentir de bonne grâce, lui disant qu’il y avait dix mois qu’il se portait bien. Ainsi Tibère, visité trop tard par les Thébains sur la mort de son neveu Germanicus, leur dit qu’il ne se pouvait consoler de la mort de leur grand capitaine Achille, jadis malheureusement tué devant Troie. » Voilà des élégances dont on ne s’avisait pas à Vienne et un art d’apprêter, d’assaisonner les nouvelles, inconnu aux Gelbhaar et aux Formica. En revanche, comme Renaudot, ces Viennois déclaraient à leurs lecteurs « que leurs gazettes étaient épurées de toute autre passion que celle de la vérité, » qu’on pouvait les en croire, s’en remettre à leur bonne foi, qu’ils ne donneraient jamais que des nouvelles rigoureusement exactes, qu’ils avaient le culte du vrai. Ils prenaient leurs précautions, et c’est ainsi qu’en usent tous les menteurs patentés.

En Angleterre comme en Hollande, à Vienne comme à Paris, le journalisme a eu partout les mêmes origines ; partout il est né des nouvelles à la main et des relations imprimées, publiées dans les grandes occasions et paraissant à des intervalles irréguliers. L’homme a été dans tous les temps et dans tous les climats curieux jusqu’à l’indiscrétion, et il s’est toujours occupé de tromper son ennui. Mais au moyen âge on n’avait pas la poste ; cette invention romaine s’était perdue. On en était réduit aux récits oraux, colportés par les chanteurs ambulans ; ces ménétriers étaient des gazettes vivantes. Ils abondaient en Allemagne, et comme l’a dit M. Zenker, du Rhin à l’Oder, de la Baltique au Danube, ils allaient de village en village, racontant à des auditeurs émerveillés et béans combien d’adversaires le chevalier Soundso avait désarçonnés, quelle pompe avait déployée tel duc dans un tournois, et combien de sorcières et de juifs on venait de brûler à Ratisbonne.

Mais des temps nouveaux étaient venus, et la poste retrouvée, la découverte de l’imprimerie, la renaissance des sciences et des arts, le développement des relations commerciales, les grands voyages