Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils peuplaient de nymphes et de divinités champêtres les bois sacrés, les sources, les prairies, les vergers ombreux et l’intérieur des maisons. Ne plaçaient-ils pas dans des champs élyséens l’idéal de leurs aspirations les plus secrètes, et dans quelque belle étoile bleue le séjour futur de leur félicité suprême avec des êtres aimés ? Tout cela fut remplacé, assombri par les démons, les loups-garous, des sorciers horribles et des sorcières plus horribles encore. Les esprits simples se bourrent comme à plaisir d’ineptes superstitions. Au pays du Berry et dans d’autres pays de France, la croyance en des êtres surnaturels, tels que jeteurs de sort, noueurs d’aiguillettes, caillebotiers qui ôtent le lait aux vaches, courtilliers qui sèchent les plantes, grêleux qui amassent les orages, a-t-elle entièrement disparu ? Non, certainement. À Paris même, n’y a-t-il pas toujours une maison hantée, un homme au mauvais œil, sans compter les spirites et les sibylles au marc de café qui vivent grassement aux dépens de ceux qui frappent chaque jour à leur porte ?

Lorsque le duc d’Enghien quitta le château de Montrond, ce fut pour apprendre le métier des armes sous les maréchaux de Chaulnes, de Châtillon et de La Meilleraye. À vingt-cinq ans, il avait gagné la bataille de Rocroi, pris Thionville, Dunkerque, réduit Philisbourg et Mayence, et assisté à la bataille de Nordlingue. Lorsque son père mourut, le jeune duc hérita du titre de prince de Condé, et avec ce titre, des gouvernemens du Berry et du Bourbonnais, de ceux de Bourges, de Champagne, de Brenne, et d’un nombre considérable de seigneuries, sans compter le duché de Châteauroux et le comté de Sancerre. C’est alors qu’éclata la lutte entre le parlement uni à la noblesse et la régente Anne d’Autriche liée au cardinal de Mazarin. Bourges garda sa fidélité traditionnelle à la royauté. Quant au prince de Condé, « après avoir hésité trois jours et s’être repenti trois cents fois, » a dit de lui le duc de Rohan, il prit d’abord parti contre le cardinal, puis pour la cour, et, finalement, il fut arrêté au Louvre, et conduit, comme autrefois son père, prisonnier au donjon de Vincennes, en compagnie du prince de Conti, son frère, et du duc de Longueville, son beau-frère.

François de Beauvilliers, comte de Saint-Aignan, fut nommé aussitôt gouverneur du Berry, ce qui n’empêcha pas la princesse de Condé de venir s’installer dans son château de Montrond et d’y fomenter la rébellion avec une rare énergie. La garnison de ce castel était assez forte pour se permettre des pointes jusqu’aux portes de Moulins, dans l’Allier ; elle réussit à reprendre Bourges, propriété des Condé, mais où les troupes royales tenaient