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christianisme dont les calvinistes tiraient leurs meilleures railleries, se déroulaient les sinistres drames dont la sorcellerie était le sujet et le bûcher l’inévitable dénoûment.

Henri III, un jour, ayant voulu savoir ce qu’il y avait de vrai chez tant de gens qui se disaient possédés du démon : « Je n’y trouvai, dit le chirurgien délégué à cet effet, que de pauvres gens stupides, les uns qui ne se souciaient de mourir, les autres qui le désiraient ; nostre avis fut de leur donner plustost de l’ellébore pour les purger qu’autre remède pour les punir. » Au XVIIe siècle, on devint plus barbare, et les parlemens de Rouen et de Bordeaux crurent qu’il était de leur devoir de combattre les esprits démoniaques en envoyant une foule de malheureux périr dans les flammes.

En 1616 et 1617, un Berrichon nommé Chenu, bailli de Brécy, se donna la satisfaction de juger toute une bande de sorciers, vivant dans les paroisses de Brécy et de Sainte-Solange, la patronne du Berry. « Je savais, dit Chenu, que le diable avait coutume de marquer les siens dans les parties les plus secrètes du corps. J’y fis enfoncer des épingles et ils n’en éprouvèrent aucune douleur. » Ces endiablés confessèrent qu’ils étaient allés au sabbat, qu’il s’y était passé des scènes de débauche auxquelles Satan présidait sous la forme d’un barbet noir. On l’adorait jusqu’au chant du coq. Trois des accusés du subtil Chenu, un homme et deux femmes, furent condamnés à faire amende honorable, une torche allumée au poing, puis à être pendus, leurs corps jetés au bûcher et les cendres dispersées au vent. Six autres furent encore condamnés à être étranglés ; cinq trouvèrent grâce auprès du parlement, « et le chemin leur fut baillé pour prison ; » le sixième, un vieux berger qui n’avait cessé d’intercéder pour ses compagnons en disant « qu’il aimait mieux mourir qu’eux, » fut exécuté en place de Grève.

Le pays, toutefois, commençait à s’étonner et à murmurer de tant de supplices. C’était le temps des procès d’Urbain Grandier et des religieuses ensorcelées de Loudun. Ce ne fut que sous Louis XIV que cessèrent les persécutions exercées contre de malheureux fous accusés de sorcellerie par des ignorans cruels. Les membres obscurs de ce clergé dont je parlais plus haut, de ce clergé courageusement flagellé par l’un des siens, le grand Rabelais, contribuèrent le plus à entretenir l’obscurantisme. Quel contraste avec les augures de la Grèce et de Rome !


Regrettez-vous le temps où le ciel, sur la terre,
Marchait et respirait dans un peuple de dieux ?