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Le 10 novembre 1767, un écuyer, Pierre-Philippe Pearron, ancien seigneur de Serennes, gouverneur pour le roi de la ville et du château de Vierzon, s’en rendit acquéreur au prix de 78,600 livres. Dans cette somme, figuraient 3,600 livres données comme « épingles, » selon l’usage du Berry, à la femme du très noble acquéreur.

Lorsque la révolution de 1789 éclata, M. Pearron de Serennes était donc propriétaire de Nohant ; de l’ancien château construit par Charles de Villalumini, il ne restait que des ruines, -à l’exception des deux tours dont j’ai parlé et que leur nouveau possesseur restaura le mieux possible, afin de donner à sa gentilhommière un caractère féodal qui lui manquait. Sur ces ruines, M. de Serennes construisit la maison d’habitation telle qu’elle est aujourd’hui ; mais, au moment où il faisait mettre des verrous aux doubles portes bardées de fer d’un cachot, que l’on peut voir encore, l’attitude des paysans, ses vassaux, auxquels cette prison était destinée, lui parut si menaçante, qu’il émigra, et que l’on n’a jamais su, — du moins en Berry, — ce qu’il était devenu. Ses biens ne furent pas confisqués, cependant, car ce fut la grand’mère de George Sand, Marie-Aurore, fille du maréchal de Saxe, veuve en premières noces du comte de Horn[1] et veuve une seconde fois du grand ami de Mme d’Épinay, Claude Dupin de Francueil, receveur-général des finances de Metz et Alsace, qui, par acte notarié, passé à Paris le 23 août 1793, acheta Nohant et ses dépendances au prix de 230,000 livres.

À cette date, les assignats ne devaient pas avoir perdu toute valeur, puisqu’il est fait mention, dans l’acte de vente, au moment même où cet acte se signait, que M. de Serennes recevait un acompte de 171,000 livres, « en assignats ayant cours, comptés, nombres et réellement délivrés à la vue des notaires. »

Mme Aurore Dupin avait fait cette acquisition dès que, sauvée de l’échafaud, elle put se retirer en Berry, dont son second mari avait été, depuis son retour d’Alsace, l’un des plus brillans fermiers-généraux. Elle fit combler les fossés dont M. de Serennes avait entouré le château, puis elle en exhaussa le sol de façon à former terrasse du côté du couchant. Quatre murailles grises, d’aspect rébarbatif, entouraient de toutes parts l’habitation ; elle fit jeter par terre le pan faisant face au midi et, dès lors, de ses fenêtres, ouvrant dans cette direction, il lui fut possible d’embrasser d’un coup d’œil les collines boisées, d’où se détachent les

  1. Le comte de Horn, fils naturel de Louis XV, nommé gouverneur d’Alsace, n’épousa jamais sa femme, Aurore de Saxe, du moins de fait. Il fut tué en duel la nuit même de ses noces, à Strasbourg, pendant que ses invités et sa jeune épouse dansaient. Comme pour le maréchal de Saie, mort également, dit-on, à la suite d’un duel, le nom de l’adversaire est resté contesté.