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— Oui ! .. quel bonheur d’arriver au succès ! .. Dis-moi comment tu t’y es pris pour réussir ?

Et Dick lui raconte toute son histoire d’effort constant, passionné, avec la naïve arrogance d’un jeune homme parlant à une femme, et Maisie écoute en hochant la tête. Le récit de ses périls, de ses privations l’émeut à peine, elle cherche à saisir son secret, quand, après lui avoir conté chaque expérience, il ajoute :

— Voilà ce qui m’a appris à me servir de la couleur, de la lumière.

Il lui fait parcourir, haletante à sa suite, la moitié du globe, en parlant comme il n’a jamais parlé de sa vie. Et, tout le temps, il n’a qu’une idée, prendre dans ses bras cette petite fille qui lui répond brièvement : « Je comprends… continue,.. » la prendre et l’emporter avec lui, parce qu’elle est Maisie, et parce qu’elle le comprend en effet, et parce qu’elle est son bien, une femme qu’il désire entre toutes les femmes.

S’arrêtant soudain : — J’ai conquis tout ce qu’il me fallait, dit-il, mais après avoir rudement combattu pour cela. A ton tour.

L’histoire de Maisie est presque aussi grise que sa petite robe. Des années de labeur patient, appuyé sur un âpre orgueil qui ne s’est laissé abattre ni par le mépris des marchands, ni par les sévérités ou même les railleries du maître, ni par les complimens froids et polis des autres élèves de l’atelier. Il y a bien quelques points brillans, des tableaux reçus aux expositions de province, mais le refrain plaintif revient toujours : — Tu vois, Dick, je n’ai pas eu de succès, moi, quoique je travaille si dur.

Et Dick ne devine pas l’envie latente qui la ronge. Il se rappelle seulement que Maisie parlait ainsi autrefois, quand ses balles n’avaient pas atteint le brise-lames,.. une demi-heure avant de l’embrasser, — et c’était hier.

— Qu’importe ! lui dit-il. Crois-moi, tout cela ne vaut pas certain gros pavot jaune qui fleurit sous le Fort Keeling.

Maisie rougit un peu :

— Cela t’est facile à dire. Mais tu as du succès, et je n’en ai pas.

— Laisse-moi achever, même si la chose te paraît absurde. Ces dix années, vois-tu, n’ont jamais existé. Me voilà revenu et tout est pareil ; je te retrouve seule, et je suis seul aussi. A quoi bon se lamenter ? Viens à moi plutôt, ma petite bien-aimée.

Maisie, assise auprès de lui sur un banc du Parc où ils sont rentrés, creuse le gravier du bout de son ombrelle, puis lentement : — Je comprends, répond-elle, mais j’ai ma besogne à faire, et je la ferai.