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de nouveaux mondes, tous si glorieux qu’ils en perdirent la notion du monde visible, du monde où l’on est tenu de prendre le thé à heure fixe. En silence, ils restaient assis, très tranquilles, se tenant la main.

— Tu ne pourras plus oublier maintenant, dit à la fin Dick. Quelque chose sur sa joue, le brûlait plus fort que la poudre.

— Je n’aurais oublié d’aucune façon, répondit Maisie.

Ils se regardèrent, et chacun d’eux ne reconnut plus son compagnon de l’heure précédente. Quelle merveille ! Comment la concevoir ? .. C’était ainsi pourtant. Le soleil allait se coucher, le vent de la nuit battait déjà les courbes du rivage.

— Nous serons terriblement en retard pour le thé ! dit Maisie. Retournons à la maison.

— Finissons-en d’abord avec le reste des cartouches !

Et Dick aida Maisie à descendre le talus du fort jusqu’à la mer, descente qu’elle était parfaitement capable d’opérer seule à toute vitesse, mais avec une gravité nouvelle, Maisie avait pris sa main barbouillée de noir. Il se penchait pour regarder les doigts mignons confiés à son étreinte ; elle les lui arracha, et Dick rougit.

— Tu as une jolie main, dit-il.

— Bah ! répliqua Maisie avec un petit rire de vanité satisfaite. Elle se tint tout près de Dick, tandis qu’il chargeait le revolver pour la dernière fois et tirait à travers la mer avec l’illusion de protéger Maisie contre tous les périls.

Une flaque d’eau bien loin, au milieu des marais, attrapa les derniers rayons du soleil et se transforma en un disque rouge. Cette lumière attira l’attention de Dick, et tandis qu’il levait de nouveau son revolver, le sentiment d’un miracle le ressaisit ; il était là auprès de Maisie, qui avait promis de penser à lui pendant un temps illimité, jusqu’à…

Le vent, qui augmentait, lui jeta les longs cheveux noirs de la jeune fille en travers du visage, tandis que Maisie restait la main appuyée sur son épaule, en traitant Amomma d’imbécile. Un instant, il fut dans des ténèbres qui le mordaient et la balle alla en sifflant s’égarer dans la mer.

— Tu m’as fait manquer mon coup ! dit-il. Et je n’ai plus de cartouches. Il ne nous reste qu’à courir vers la maison.

Mais ils ne coururent pas, ils marchaient posément bras dessus, bras dessous, sans même se demander si le malheureux Amomma, avec deux cartouches dans les entrailles, avait sauté ou s’il trottait à côté d’eux, car un magnifique héritage venait de tomber en leur pouvoir et ils disposaient de ce trésor avec la sagesse des jeunes années.