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en larmes. L’indifférence de Dick l’arrêta. Émue, haletante, elle resta sur la berge, tandis que Dick, dont la main avait tremblé un peu cependant en ramassant l’arme traîtresse, se mettait à bombarder méthodiquement le brise-lames.

— Ah ! je l’ai touché, à la fin, s’écria-t-il, voyant qu’une algue se détachait de la pile de bois.

— Laisse-moi essayer encore, dit impérieusement Maisie : cela va bien maintenant.

Ils tirèrent chacun à son tour, jusqu’à ce que le méchant petit revolver fût presque disloqué par l’excès d’usage. Amomma, l’expulsé, — car on craignait qu’il n’éclatât, — broutait à distance, curieux de savoir pourquoi ses amis lui jetaient des pierres.

— Aux prochaines vacances, déclara Dick tandis que le revolver endommagé le repoussait violemment, nous achèterons une autre arme qui portera plus loin.

— Il n’y aura pas pour moi de prochaines vacances, dit Maisie, je m’en vais.

— Où donc ? ..

— Je ne sais pas. Mes hommes d’affaires ont écrit à Mrs Jennett ; je serai envoyée quelque part pour apprendre… en France peut-être, je ne sais où, mais je serai bien contente de partir.

— Moi, je suis fâché ! .. Je resterai en arrière, alors ? Écoute, Maisie, est-ce vrai que tu t’en vas ? Comment ! ces vacances sont les dernières où je te verrai ? .. Et je retourne à l’école la semaine prochaine ! .. Je voudrais…

Son jeune sang lui monta au visage. Maisie arrachait des touffes de gazon et les lançait, du haut de la pente où ils s’étaient assis, à un pavot de mer isolé qui, balançant sa tête jaune, faisait des signes par-delà les bancs de vase, à la mer lointaine d’une blancheur laiteuse.

— Je voudrais bien te revoir un jour ou l’autre, dit-elle après un silence. C’est là aussi ce que tu veux ?

— Oui, mais le mieux aurait été encore que tout à l’heure tu aies tiré juste… que tu ne m’aies pas manqué…

Maisie ouvrit de grands yeux. Était-ce vraiment le même garçon qui, dix jours auparavant, décorait les cornes d’Amomma de papier découpé pour le chasser, ainsi paré en signe de dérision, sur la voie publique ? Non, ce n’était pas le même. Ses paupières s’abaissèrent un instant, puis d’un ton de reproche :

— Allons ! ne sois pas stupide !

Un instinct de femme l’inspira ; elle reprit l’offensive :

— Égoïste, égoïste que tu es ! Pense donc à ma position si cet horrible outil t’avait tué ! Comme si je n’avais pas déjà bien assez de chagrin…