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paniers d’étoffes claires sont enguirlandés de fleurs. Et la musique accompagne cette pantomime charmante, qui « représente par les gestes et les attitudes une intrigue amoureuse, une déclaration, un désir mutuel de se plaire, une disposition à s’écouter favorablement en se donnant la main, une petite répugnance, une réflexion en s’éloignant de nouveau, et enfin une conclusion du roman en présentant les deux mains à la dame, et en la conduisant jusqu’à l’endroit où l’on avait commencé. »

Tous ne dansaient point assurément. Jordan, Stille, Knobelsdorf, Sennig, regardent : c’est le groupe des penseurs. Par la fenêtre ouverte, la nature apparaît en accessoire discret, et parée, elle aussi, de bosquets, de salons de verdure et de statues de dieux et de déesses.

Bielfeld, à qui l’on ne peut refuser la justesse d’impression, a été ravi au premier coup d’œil sur le château enchanté. Il avait passé, avant d’arriver à Rheinsberg, par Potsdam, la ville du roi. Il avait été réveillé par le bruit d’une centaine de tambours, et il avait fait sa toilette au son de la musique militaire. C’était dimanche. Il avait vu défiler, pour se rendre à « la parade de l’église, » le régiment du roi dans ses plus beaux atours ; en tête, marchaient les hautbois tout chamarrés, et les tambours et les fifres, et de grands nègres, qui portaient des turbans ornés d’aigrettes, des carcans et des pendans d’oreilles d’argent massif poli. Puis chaque compagnie était passée, précédée de ses fifres et de ses tambours. Les hommes portaient la mitre de cuivre où brillait l’aigle de Prusse, l’uniforme bleu aux brandebourgs d’or, doublé de rouge, avec de petits paremens écarlate, les vestes et les culottes couleur chamois et les guêtres blanches. C’étaient les fameux colosses, dont l’effet était terrible. Dans l’église, Bielfeld était obligé de jeter la tête en arrière pour observer leur physionomie. Il se demandait en regardant les deux statues de Mars et de Bellone, posées en sentinelles à l’entrée du caveau où Frédéric-Guillaume avait préparé sa sépulture, s’il était bien dans un temple du Christ, mais officiers et soldats faisaient d’un grand air de dévotion l’exercice de la prière. Invité à dîner par le colonel, Bielfeld aperçut sur le buffet quantité de bouteilles de vieux vin du Rhin, que des gens rangeaient le long du mur à mesure qu’elles avaient été vidées par ces grands sacs à vin, qui sablaient des rasades « avec une facilité et une bonne foi germaniques. » Et plus s’allongeait la file, plus l’air rébarbatif des visages s’adoucissait. Après le café, que l’on alla prendre chez un capitaine, arrivèrent les hautbois. Comme Bielfeld tournait la tête de tous les côtés, espérant de voir arriver les dames, un officier rubicond et hâlé lui présenta la main pour ouvrir la danse, et l’on dansa un