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des toiles de ces gracieux maîtres. Pesne, le décorateur principal de la maison, ayant voulu se donner à la peinture religieuse, le prince lui écrivit :

Abandonne tes saints entourés de rayons ;
Sur des sujets brillans exerce tes crayons.
Peins-nous d’Amaryllis les grâces ingénues,
Les nymphes des forêts, les grâces demi-nues,
Et souviens-toi toujours que c’est au seul amour
Que ton art si charmant doit son être et le jour.

Frédéric demandait à l’art, quel qu’il fût, architecture ou musique, peinture ou sculpture, de lui donner du plaisir. Il ne voulait avoir sous les yeux que des images aimables et des couleurs claires : couleur de chair, gris de lin, bleu céladon, rose ; il préférait la couleur de l’argent à celle de l’or. Était-ce que son humeur fût tout à la joie ? Mais cela veut dire peut-être tout le contraire. Il demeurait comme opprimé par les souvenirs de sa jeunesse, et disait que son tempérament, qui le portait jadis à la joie, était un membre démis. Les idées où il allait s’arrêter sur la destinée de l’homme étaient austères et tristes ; c’était bien le moins que le dehors fut joyeux et lui sourît. Rheinsberg était le lieu de plaisance qu’il avait rêvé à Neu-Ruppin, une jolie maison pour la vie distinguée et tranquille. Quand elle fut achevée, il fit écrire au front de la voûte d’entrée, au-dessous des statues de la Poésie, de la Musique, de la Peinture et de la Géométrie : Frederico tranquillitatem colenti, à Frédéric jouissant de la tranquillité. Réfugié loin de ses souvenirs, il allait vivre au jour le jour, priant chaque journée de lui être douce.

Cependant, à Rheinsberg comme à Neu-Ruppin, il songeait à l’avenir ; tout le monde y songeait autour de lui, et puisque je parlais de documens sur la jeunesse de Frédéric, en voici qui valent des pages de mémoires. Le pont sur le fossé devant l’entrée principale était décoré des statues de Mars, de Vénus, de Saturne et de Diane, de Jupiter, d’Apollon, de Mercure et de l’Aurore : c’était le cortège du soleil levant. Au plafond de la grande salle, la Nuit s’en va, d’un vol rapide, entourée d’oiseaux et de rêves. Diane la suit, le croissant au front ; puis la Renommée qui tient d’une main la trompette, et tend, de l’autre, une couronne au soleil qui va venir. Un cortège d’amours qui jouent avec des guirlandes de fleurs précède Vénus environnée d’étoiles ; tout près, se cabrent les chevaux du soleil ; ils désarçonnent un amour qui est précipité vers la terre où tombent ses flèches et ses fleurs ; Apollon paraît, ou plutôt paraissait, — car la fresque a souffert en cet endroit, — rayonnant sur son char d’or. Au temps où la peinture avait