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quadrangulaire, dont les deux longs côtés font façade sur la ville et sur le lac. Une saillie de corniche, une ligne d’encadrement au-dessus des fenêtres, des appuis de croisée en fer forgé où sont dessinées des lyres, des balcons, quelques statues symboliques et des vases composent tout l’ornement. La façade du lac déroge un peu à cette simplicité. L’architecte avait gardé une tour de l’ancien château, qui marque aujourd’hui l’extrémité de l’aile gauche ; une autre fut construite pour faire pendant à l’autre aile. Entre les deux court une rangée double de huit paires de colonnes corinthiennes, montée sur dix marches et portant une galerie. Vue du lac, la maison est aimable, ouverte et accueillante : la colonnade et les tours, qui dépassent le faîte de quelques pieds, lui donnent un petit air de grandeur.

A l’intérieur, il ne se trouve qu’une seule grande salle, qui occupe presque toute l’aile droite ; le reste est aménagé en petits appartemens pour la vie intime, intime et gaie, car l’ornementation est un décor de fête : plafonds peints et sculptés, pilastres cannelés, consoles portant bustes antiques, et des fleurs, des rinceaux, des coquilles, des acanthes, et ce dessin léger, ennemi des arêtes et des angles, dont les lignes se raccordent dans une harmonie charmante. Les artistes ont égayé les murs des joyeusetés de l’Olympe, qu’ils ont entremêlées d’images de philosophes et de héros de l’antiquité. A la vérité, on s’aperçoit bien qu’on n’est pas à Trianon. Les lambris sont en stuc, ce marbre des princes pauvres ; les scènes érotiques sculptées sur les portes de la grande salle sont d’un réalisme un peu cru : l’artiste va droit au fait et ne sait point badiner avec l’amour. La sculpture, tranchant par reliefs brusques sur le panneau, ne semble pas une efflorescence naturelle de la boiserie. L’ensemble de cet intérieur est pourtant très joli. Le premier salon de l’appartement du prince et de la princesse, la seule pièce bien conservée, est tout en fenêtres, en portes et en glaces, surmontées de médaillons et de trophées de bois doré que prolongent des branches porte-bougies. Au-dessus de la cheminée, une grande toile représente Apollon qui saisit au-dessous du sein Daphné, un joli corps laiteux avec des cheveux blonds et des yeux humides. Au plafond, Mars prend le menton de Vénus, dont un amour enlève la tunique, et d’autres amours jouent avec les armes du dieu.

Tout cela était du temps, et point de l’invention de Frédéric, mais il aimait le goût de son siècle. La mythologie gracieuse et mignarde était, avec la philosophie, la source de sa poésie. Le décor des divinités folâtres, où s’égarent les têtes graves des sages d’autrefois, était fait pour lui. Il n’aimait pas la peinture austère. Ses peintres favoris étaient Watteau et Lancret, et il avait une chambre pleine