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Plusieurs dynasties se succédèrent au bord du Grinericksee ; après les Rheinsberg, vinrent les Platten, puis les Bredow. Ceux-ci sont restés célèbres grâce à une aventure arrivée à leurs ancêtres. Un jour, le diable, en tournée dans le canton de Ruppin, reconnut que tous les seigneurs étaient du gibier d’enfer ; il les fourra dans un sac et les enleva, mais pendant qu’il se reposait sur le clocher d’une église, plusieurs des prisonniers échappés par un trou retombèrent sur le. sol ; parmi eux étaient les Bredow. Ils conservèrent la seigneurie jusqu’au début de la guerre de trente ans. Vers ce moment-là, vivait à l’université de Rostock le professeur Eilhard Lubin, auquel il n’eût pas fallu conter des sornettes comme cette légende du diable, car il était un très savant homme fortement nourri de lettres classiques. Il apprit un jour qu’un tombeau avait été trouvé dans une île du lac de Rheinsberg. Or le mot Rheinsberg s’écrivait de vingt façons, entre autres, celle-ci : Remsberg. Lubin ne doute pas que ce nom ne fût la traduction vulgaire des mots latins Remi mons, montagne de Remus, et que ce tombeau ne fût celui de Remus, le frère de Romulus. L’histoire, qui accusait le fondateur de Rome d’un fratricide, avait donc menti. Le professeur composa une longue dissertation latine sur « le sépulcre de Remus, frère de Romulus, nouvellement découvert par l’extraction de deux marbres, l’un très ancien et l’autre plus récent, par lesquels est réfutée l’erreur si longtemps répandue du meurtre de Remus par son frère. » Plus d’un siècle après, le savant Pezoldus prenait encore des précautions pour réfuter l’opinion de Lubin, lorsqu’il publiait dans les Miscellanea lipsensia son traité « sur le faux ou tout au moins suspect sépulcre de Remus trouvé dans la marche. » Les gens du pays tenaient à une légende qui faisait un si grand honneur à leur petit canton. Il n’est pas certain que Frédéric n’y ait pas cru un moment ; il la raconte dans une lettre datée de Remusberg à Voltaire qui s’en amuse.

En l’an 1618, les Lochow achetèrent la seigneurie aux Bredow, qui l’avaient à peu près épuisée, car les villages étaient quasi-déserts et le terroir abandonné. Pendant la guerre de trente ans, les Impériaux et les Suédois, Wallenstein et Torstenson passèrent et repassèrent sur cette misère, pillant et torturant les derniers habitans et brûlant les dernières maisons : Rheinsberg ne garda que six masures. Après quelques années de paix, les Suédois nos alliés envahirent le pays de nouveau, pour rappeler des bords du Rhin le grand-électeur, qui combattait contre nous ; les Lochow n’avaient plus de quoi vivre, quand ils s’éteignirent en 1685. Mais c’était l’année de la révocation de l’édit de Nantes ; déjà un certain nombre de Français s’étaient réfugiés en Brandebourg sans attendre le