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parlementaire des griefs amassés contre son prédécesseur ; il avait assez de sagacité et de liberté d’esprit pour comprendre le danger d’un procès d’État contre un ancien ministre, et, de fait, il a eu tout dernièrement l’habileté de détourner la colère de ses amis, de faire écarter la mise en accusation de M. Tricoupis ; c’était un succès qui n’a pas été facile à obtenir. — D’un autre côté, il y avait une difficulté peut-être plus sérieuse encore. La vérité est que, depuis longtemps, la Grèce est dans une situation financière des plus critiques, des plus troublées, tellement grave que le gouvernement hellénique a été plus d’une fois sur le point d’être réduit à une humiliante suspension de paiemens. Que cette situation soit le résultat de circonstances plus fortes que toutes les volontés, qu’elle doive être attribuée aux fautes, aux dépenses de l’ancien ministère de M. Tricoupis, le fait existe. Il faut aviser ! un emprunt a été récemment essayé, il a échoué. Le ministère, après bien des tergiversations, s’est décidé à proposer aux chambres une sorte de programme comprenant diverses combinaisons financières, divers projets d’impôts nouveaux ; mais ce n’était encore qu’un programme qui ne pouvait se réaliser en un jour : il avait de plus l’inconvénient de tous les programmes qui imposent au pays des charges nouvelles. Il ne résolvait rien, et si M. Delyannis avait habilement réussi à se dégager des complications de l’affaire Tricoupis, il restait toujours en face des embarras financiers. C’est justement dans ces conditions générales, ostensibles, que la crise a éclaté brusquement, comme un coup de foudre.

Y a-t-il eu quelque cause particulière et déterminante qui a précipité l’explosion ? Ce n’est pas l’éventualité du procès de M. Tricoupis, puisqu’elle était déjà écartée par l’intervention même du président du conseil. Est-ce la gravité de la situation financière qui a décidé la crise ? Toujours est-il qu’il y a quelques jours à peine, le roi George a envoyé tout simplement, sans plus d’explications, un de ses secrétaires à M. Delyannis pour lui demander impérieusement la démission du ministère. M. Delyannis, visiblement un peu abasourdi, ne s’est point hâté ; il a voulu délibérer avec ses collègues, il a consulté ses amis, et cela fait, on a répondu au roi que le ministère, assuré d’avoir l’appui du parlement, ne pouvait se démettre, mais que le roi avait parfaitement le droit constitutionnel de le révoquer. Jusque-là tout restait indécis. Malheureusement, le ministère paraît avoir voulu en appeler à l’opinion, à une délibération du parlement, à une pression extérieure, tandis que le roi s’obstinait dans ses résolutions, et pendant ce temps les esprits se montaient. Les partisans de M. Tricoupis se remuaient, comme les partisans de M. Delyannis. L’agitation commençait à se manifester dans Athènes, autour du palais, autour du parlement ou de la demeure des ministres. La force militaire entrait en action, on ne savait sur quel ordre. La situation devenait violente, lorsque le roi