Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour résister. En Angleterre, c’est le mouvement libéral qui gagne la masse du pays et presse de toutes parts le ministère conservateur ; il marche, il n’a cessé de se manifester depuis quelque temps dans une série de scrutins partiels, et il vient de s’accentuer encore plus par une élection d’un ordre tout local, il est vrai, mais avec cela singulièrement significative. C’est cette élection du conseil de comté de Londres qui est aujourd’hui une sorte d’événement, qui vient de mettre les partis en présence. Qu’est-ce que ce conseil de comté ? c’est une institution nouvelle, on le sait, créée par un acte de 1888, à peu près semblable aux conseils-généraux de France, destinée à être la représentation administrative des diverses parties de la métropole britannique, — sauf la vieille cité de Londres qui reste intacte avec son existence traditionnelle et ses privilèges. Ce conseil, élu pour trois ans, représente, par le fait, trois ou quatre millions d’habitans, et ne compte pas moins de 118 membres. Il a des attributions encore assez mal définies, qui peuvent néanmoins s’étendre singulièrement. On voit quelle est, quelle peut être son importance. Déjà, dans une première élection, la lutte s’était engagée entre libéraux et conservateurs déguisés, pour ce scrutin local, sous les noms de progressistes et modérés. Les progressistes avaient eu assez d’avantages pour pouvoir mettre à la tête du conseil de comté, lord Rosebery, le futur ministre des affaires étrangères d’un cabinet libéral ; ils n’avaient pas une majorité assez forte pour engager une campagne de réformes. Cette fois, la lutte a été plus vive encore qu’il y a trois ans. Les conservateurs, les « ducs » qui sont les premiers intéressés dans l’administration municipale de Londres, se sont jetés dans la mêlée. Les chefs libéraux, sir William Harcourt, M. John Morley, les radicaux représentés par M. John Burns, ont déployé une ardente activité. En définitive, la victoire, une victoire complète, est restée aux progressistes qui vont être au nombre de plus de quatre-vingts, dans le nouveau conseil, et ce succès est d’autant plus sérieux que jusqu’ici les conservateurs passaient pour être les maîtres dans la représentation publique de la métropole anglaise.

Que ces élections gardent un caractère particulier et restent jusqu’à un certain point un fait local, c’est possible : même dans ces limites elles auraient encore une sérieuse importance. Les progressistes ont en effet un programme aussi vaste que hardi. Ils ne cachent pas leur intention de se servir des pouvoirs qui leur sont déjà attribués pour en conquérir de nouveaux, pour étendre l’action municipale à la police, à un certain nombre de services publics, pour arriver à une application plus complète du droit commun à la ville entière de Londres. Ils se proposent de plus une réforme des taxes municipales qui touche singulièrement quelques grands propriétaires, le duc de Westminster, le duc de Portland, le duc de Bedford, possesseurs héréditaires du sol d’une grande partie de la ville de Londres ; ils veulent que les