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illusions, des exaltations juvéniles, des discours mystiques au peuple prussien, à l’armée, aux évêques. Il a eu aussi bientôt la phase des rêves humanitaires, des rescrits semi-socialistes, des tentatives pour conquérir les ouvriers, des promesses de justice sociale. Depuis quelque temps, le jeune souverain, on le sent, revient sur ses pas ; il s’efforce de se ressaisir, de rentrer dans son rôle d’empereur paternel et piétiste. Il a signalé sa métamorphose nouvelle par ce discours à la diète de Brandebourg, qui a été vivement commenté en Europe, qui l’a été aussi en Allemagne et n’a pas laissé d’émouvoir bien des Allemands. Ce discours était certainement curieux par lui-même ; il l’était surtout parce qu’il se liait à cette phase de réaction impériale et autocratique dans laquelle le jeune souverain semble entrer aujourd’hui. Guillaume II, c’est bien clair, subit avec impatience la contradiction, et il est assez disposé à serrer les freins de la répression. Il s’inquiète de tout ce qu’il voit autour de lui, des progrès du socialisme, des agitations ouvrières ou révolutionnaires, de la liberté pourtant fort modérée des journaux, de la démoralisation dont les dernières scènes de Berlin ne sont peut-être qu’une démonstration nouvelle. Il se donne la mission de moraliser son peuple, sans oublier de lui faire sentir la force. Presque toutes les lois proposées depuis quelque temps au parlement sont des lois répressives ou prétendues moralisatrices ; la réforme scolaire, à laquelle M. de Zedlitz a attaché son nom et que l’empereur lui-même soutient de tous ses efforts, dont il poursuit ardemment le succès, n’est qu’une partie du système. Malheureusement, l’Alsace-Lorraine n’échappe pas à cette bourrasque de répression qui prend pour elle un caractère particulier, qui se manifeste sous la forme d’une loi nouvelle d’état de siège discutée en ce moment même par le Reichstag. Par le fait, sous le régime de cette loi qui n’avait pas semblé nécessaire depuis vingt ans, et qui l’est devenue tout à coup, à ce qu’il paraît, le premier général venu, sur une simple apparence, sur un simple soupçon de danger, pourrait proclamer l’état de siège ; le conseil de guerre se chargerait du reste. C’est le pays tout entier livré à la fantaisie discrétionnaire d’un officier ! Cette loi, à dire vrai, a rencontré quelques protestations dans le Reichstag, celle d’un député alsacien-lorrain qui n’est pas un irréconciliable, les critiques de quelques socialistes. Qu’on ne se fasse aucune illusion cependant. Les socialistes allemands se gardent de se compromettre pour l’Alsace-Lorraine ; ils se bornent à combattre un régime qui pourrait les atteindre et les envelopper dans le réseau de la répression. Ils sentent pour eux-mêmes le danger de la réaction.

Ainsi vont les choses ! L’esprit souffle où il veut, la politique varie avec les pays et les circonstances. En Allemagne, la réaction règne dans les conseils officiels, et l’opinion, bien qu’un peu inquiète de ce qui se passe dans cette jeune tête impériale, ne se sent pas assez forte